Adjani la magnifique par Biba

la magnifique



Elle est drôle Isabelle Adjani... mais attention, pas drôle au sens bizarre. Non , drôle au sens premier,c'est-à-dire une femme qui rigole, qui s'amuse de la vie et qui nous fait rire. Et reconnaissons-le : on ne s'y attendait pas. Tout (et n'importe quoi) a tellement été dit et écrit sur la comédienne, que même si on ne savait pas à quoi allait ressembler l'interview, on ne pensait pas pour autant passer un moment aussi détendu. Souriante,sublime,elle entre dans le bar de grand hôtel parisien et en quelques secondes, donne une tournure simple et spontanée à la rencontre. Adorable avec les serveurs,choisissant tout simplement une table, nous laissant la banquette en rigolant : "Prenez la, vous serez mieux, vous pourrez vous allonger si vous en avez marrre"... S'en suivent deux heures délicieuses où l'on se sent à l'aise comme jamais en interview et libre de poser toutes les questions qui nous viennent à l'esprit. sans calcul,sans tricherie ni minauderie,elle parle de son métier, de des ses choix , de ses fils, de la vie. car si Isabelle Adjani est sans conteste une artiste à part, c'est aussi une femme accessible et chaleureuse. rencontre pleine d'humour, de recul, de sincérité, d'émotions...à la véritable image de la comédienne.



La journée de la jupe est un film choc. Comment avez-vous décidé d'y jouer ?
En 10 minutes. Le temps de lire le script et j'ai appelé J-paul Lilienfeld, le réalisateur, pour lui dire oui. Je ne le connaissais pas, c'est Smaïn qui m'avait conseillé de lire ce scénario en me disant "c'est pour toi". Je n'ai rien vu et rien voulu voir du travail de Jean-Paul. J'étais convaincue qu'un homme qui a ça en lui, ne pouvait pas rater son film. Ensuite, j'ai été stupéfaite de la réaction des gens. des acteurs ont refusé des rôles, aucun producteur ciné n'a voulu du projet, moi, on me disait : "N'y va pas , c'est casse-gueule." Et c'est Arte avec Mascaret Films qui a accepté et s'est lancé avec nous.



Pour quelqu'un qui a une image inaccessible, la rencontre s'est faite plutôt facilement...
C'est une grosse blague, cette image de femme inaccessible. Comme je ne passe pas mon temps dans les soirées et sur les plateaux télé, on dit que je mets à part, que j'entretiens le mystère. D'ailleurs, c'est incroyable,"mystère" et "retour" sont les mots qu'on emploie le plus souvent à mon sujet. L'imaginaire social me déconcerte.



Dans le film vous jouez une prof à bout qui veut dire à ses élèves de sortir de la victimisation et de relever la tête. Vous - même , dans la vie,vous avez fait preuve d'une force incroyable face aux rumeurs...
Merci de le dire. Ca a été épouvantable. On disait que j'avais le sida au début de l'épidémie et ça voulait dire paria. Les assureurs des films étaient inquiets. On me réclamait test sur test, même ma mère avait fini par me demander si c'était vrai. j'avais honte de devoir dire que je n'avais rien alors que certains de mes amis étaient malades. J'étais complètement impuissante, je me disais : "Mais ce n'est pas possible, il n'y a que moi qui ne suis pas folle."



Et on se relève comment de tant d'attaques ?
Camille Claudel m'a sauvée de l'écroulement . En restituant la mémoire de cette femme qui est une incarnation de tous les artistes incompris, j'ai été soignée. J'avais découvert des écrits sur elle mais surtout sa photo. Ca a été comme un appel pour moi. Et le projet de film est né. Si Truffaut avait été encore en vie à ce moment , je lui aurais demandé de le réaliser. C'était vital pour moi. Bruno Nuytten, qui était chef opérateur et avec qui je vivais, m'a dit "faisons-le ensemble". Je sais que ça a été une décision très importante et difficile pour lui. Il a sacrifié sa carrière de chef op et a fait ce film par amour. C'est un cadeau qui sera à jamais inscrit en moi.



La journée de la jupe , c'est pour vous un rôle aussi fort que Camille Claudel ?
C'est une sensation aussi forte que celle que j'ai vécue avec L'été meurtrier et Camille Claudel, effectivement. On a tourné La journée de la jupe en mai dernier, sans confort, sans argent,personne ne savait qu'on tournait et c'était un bonheur. On était uniquement dans le travail.



On vous reproche souvent d'être trop rare ?
Quand on me dit : "Tu n'as pas tourné depuis 5 ans." Je réponds : "ah bon ! "Je n'ai pas la notion du temps qui passe et j'aime la lenteur. J'ai besoin de prendre mon temps et, dans mon travail, je n'ai qu'une envie, c'est d'être passionnée, d'être à la hauteur des challenges. C'est comme ça, je suis comme ça ! Et puis j'ai toujours eu besoin d'être là pour ma famille. S'il y a bien une phrase que je déteste, c'est "the show must go on". C'est faux, il y a des moments où ça doit s'arrêter. J'ai besoin d'une vie normale et si je tournais 5 films par an, je ne serais pas là pour mes enfants. Pour moi ce n'est pas possible.



Et quelle mère êtes vous avec votre fils ?
Je crois qu'aujourd'hui, il faut être très vigilants quand on est parents. On vit dans une société où les parents veulent avant tout être aimés et valorisés. Trop de narcissisme chez les adultes. Je pense que c'est compliqué pour un enfant de s'y retrouver. Avec Gabriel-Kane qui a 13 ans, on parle beaucoup, on rit , on dédramatise. Barnabé a 28 ans , c'est différent. Il est musicien, d'une rigueur morale incroyable. Il a beau avoir l'âge que j'avais quand j'ai tourné L'été meurtrier, je ne peux m'empêcher de lui dire : "Mets une écharpe, tu vas prendre froid." Quand je vous dis que je ne vois, pas le temps passer !

Photo : Clémentine Naudet
Interview :(prologue) Delphine Apiou