Ceci dit, je ne vous ai pas encore dit… que quand je suis rentrée chez moi dimanche soir, toute la soirée puis le lendemain matin, en me rendant à mon travail, je me suis sentie… comment dire, ma joie n’était pas sans mélange.
Pendant que nous attendions Isabelle Adjani, dans la petite salle spartiate à l’entrée des artistes, nous étions diverties, Tessa et moi, par un voisin charmant.
Il avait un visage ouvert, sympathique et un sourire communicatif. Il avait participé à la vie de l’Association des Amis d’Isabelle Adjani, il ne connaissait pas ton blog, Fred. Nous lui en avons parlé comme du nouveau lieu où l’on Aime Isabelle Adjani ! Il était venu avec sa fille adolescente et elle attendait, son programme à la main, une dédicace. Elle se levait régulièrement, fébrile, pour vérifier qu’Adjani ne s’échappait pas discrètement par la porte de sortie, sans nous adresser un regard ! Alors Tessa, qui avait déjà vécu cette scène, l’a rassurée : Isabelle Adjani allait s’asseoir à une table et prendre le temps de nous faire à chacun une dédicace. Tout allait se passer dans le calme et la simplicité.
Nous étions assez nombreux, je dirais une quinzaine. Un jeune homme a fini par attirer mon attention. Il allait et venait, ne cessait de se mouvoir et tutoyait tout le monde. J’ai commencé à m’alarmer quand il est venu nous dire : «Ca y est, Stéphane Delajoux, l’ami d’Isabelle Adjani, est arrivé. Vous voyez la voiture, là-bas ? C’est sa voiture. Vous pouvez aller lui poser des questions si vous voulez !»
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Qu’est-ce que c’était que ce garçon ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Aaaargh, je ne veux pas être mêlée à une troupe de berzingues, de court-circuités de la cervelle ! me suis écriée en moi-même. Au secours, je ne veux rien savoir de la vie privée d’Isabelle A., ce n’est pas pour cela que je suis venue !
Puis le même jeune homme s’est présenté à nous, moi je l’appelle le Ravi, et il a commencé à parler de prendre des photos. «Vous croyez qu’elle voudra bien ? J’aimerais bien la prendre en photo » et il a commencé à demander à l’un, puis à l’autre : «tu voudras bien lui demander, toi ?» jusqu’à jeter son dévolu sur la jeune fille : «toi, tu es jeune, ça lui fera plaisir de voir une toute jeune comme toi, tu voudras bien lui demander ? Tu voudras bien que je la prenne en photo avec toi ?»
Et la jeune fille d’acquiescer ! Non mais vous y croyez, vous ? Vous le croyez, ça ?
J’ai dit au Ravi : «Ecoutez, Elle nous a déjà beaucoup donné. Vous êtes comme les gens qui, quand on leur donne ça (j’ai montré un doigt) veulent ça (j’ai montré le bras). On ne peut pas demander plus, toujours plus. Il faut savoir apprécier l’immensité de ce qu’elle nous a donné, déjà.»
Il n’a pas eu l’air de me comprendre mais il n’avait pas l’air méchant, c’était déjà ça.
Il y avait également parmi nous le SDF que Tessa avait vu le 10 septembre. Il a demandé à la cantonade si quelqu’un avait un billet ou un ticket restaurant, puis il a parlé de Johnny Halliday, puis il a demandé à trois dames assises autour d’une table : «Elle est maman, Isabelle Adjani ? Hein, elle est maman ?»
Euh… Comment dire ? Vous seriez-vous attendus à une telle ambiance de cour des miracles, vous ? Rien dans les différents témoignages que j’ai lus sur ce blog… ne m’avait préparée à cela ! Maintenant, à la réflexion, je me dis que ma rencontre d’Isabelle Adjani restera émaillée de ces saynètes iconoclastes. C’était foutraque, ça partait dans tous les sens, ça ne ressemblait à rien de convenu, compassé… C’était peut-être aussi bien ainsi, parce que c’était vivant et bon enfant, mais … que s’est-il passé ? Vous n’avez raconté que le côté glamour, c’est ça ? Vous avez escamoté le Ravi et le SDF pas méchants ni l’un ni l’autre mais… un peu lourds ? Sur le moment, ça m’a perturbée… C’était comme quand il y a de la friture sur la ligne, ils prenaient tellement d’espace qu’ils nous empêchaient de profiter sereinement et pleinement de l’instant…
Pendant ce temps, les loges se vidaient l’une après l’autre. Je ne les ai pas tous vu passer, parce que j’étais accaparée par le sympathique ex-adhérent de l’AAIA, et quoique contre mon gré, par le Ravi. Je n’ai vu passer que le doyen, puis le rugbyman, puis Anne Suarez, mais tous les autres sont partis aussi, petit à petit il ne restait plus que qu’elle…
Je me rappelle que Tessa a demandé à la fille du monsieur sympathique : «Tu étudies dans quelle université ?» Puis elle s’est reprise : «Euh… quel lycée ?» et la jeune fille a répondu : «Je suis au collège !» Alors je lui ai demandé quels films d’Isadja elle connaissait et elle m’a répondu : La Reine Margot, Les Sœurs Brontë et… c’est tout !
- Vous n’avez jamais vu Adèle H ? me suis-je exclamée en écarquillant les yeux. Ah ! Ce bonheur-là est devant vous !
Vous vous rendez compte ? Il y a des gens qui n’ont pas encore vu Adèle H. Ni Adolphe. Ni Mortelle Randonnée. Ni Tout feu tout flamme… Enfin, j’arrête là sinon toute Sa filmographie va y passer !
Et puis j’arrête aussi parce que ça y est, effervescence au bas de l’escalier… La Voilà ! Je me lève, je suis à l’autre bout de la pièce, j’entrevois un petit bout de nez ô combien célèbre, entre un bonnet de laine, une grosse écharpe et d’immenses lunettes noires. Elle se dégage du groupe de personnes qui sont venues s’agglutiner autour d’elle, lance un sourire à la cantonade, s’approche d’une table, pose son sac, s’assoit… et attend la première demande de dédicaces.
Elle est plus petite que moi, c’est incroyable… C’est ce petit bout de femme, là, si simplement assise parmi nous, qui a fait couler tant d’encre, depuis son entrée à la Comédie Française ? Que les étrangers nous envient, parce qu’ils ne savent pas, les Allemands, les Anglais, les Américains… ils ne savent pas qu’elle ne nous appartient pas plus qu’elle ne leur appartiendrait, si elle était née chez eux ! Qu’elle n’appartient à personne, qu’elle n’est jamais là où on l’attend. Qu’il n’y a pas à «nous envier» parce qu’elle est universelle.
Les trois dames attablées à côté sortent leurs photos. Une photo, deux photos, trois photos… et là, le SDF qui nous avait demandé de l’argent ou des tickets restaurant lance : «Ca va Isabelle ? Isabelle, ça va ?»
Et elle : «Oui, et vous, vous n’êtes pas parti ?»
Lui : «Ah ben non…»
Elle : «Non mais je veux dire : vous pouvez quitter Paris, maintenant, non ? Vous vouliez quitter Paris, vous avez l’argent pour quitter Paris, maintenant…»
Lui : «Ah ben non, je n’ai plus que 10 euros»
Eclat de rire général, et elle de conclure : «Ah bien dans ce cas, effectivement…» et elle prend la première photo, demande à quel prénom elle doit la dédicacer, et… je me dis… C’est sa voix, c’est bien elle, je suis debout à un mètre d’elle, sur le côté, un peu en arrière même, c’est sa voix, et… sa voix a encore des accents rauques, sa voix est celle de quelqu’un d’exténué… On sent qu’elle ne la force pas, surtout pas, parce qu’elle est au bord… de se briser ! Les trois dames ont la même pensée que moi, elles la remercient d’abord, lui disent combien la représentation était extraordinaire, puis :
«Ca doit être fatigant ?» demande l’une d’elle.
Et elle : «Oui, je suis fatiguée, surtout en fin de semaine…»
Et le SDF qui n’a plus que 10 euros de l’interpeller à nouveau : «Isabelle, vous n’auriez pas un peu d’argent pour moi ?» Elle lui fait signe qu’elle est occupée, qu’elle essaie de se concentrer pour la dédicace, mais le voilà reparti : «J’ai écrit une chanson pour Johnny Halliday, vous savez ?»
Elle : «Oui, oui, je sais…»
Apparemment, c’est loin d’être la première fois qu’il lui fait le coup.
Lui : «Il n’en a pas voulu, de ma chanson. Vous savez qu’il me doit de l’argent, Johnny Halliday ?»
Et elle, non mais comment vouliez-vous qu’elle se concentre, dans ces conditions ? Pendant les 20 minutes que ça a duré, il n’a pas arrêté. S’est mis à réciter un poème de sa composition, et là Isabelle Adjani a marqué l’arrêt, s’est mis à l’écouter et à le regarder… et nous tous de même parce que c’était sacrément bien troussé, les vers qui se succédaient. Jusqu’à ce qu’il conclue : «C’est de Gérard de Nerval… et de moi !»
«Ah ! s’est elle exclamée, je me disais aussi !»
Tout le monde a ri, mais on sentait de la gêne en même temps. L’ambiance était plutôt bon enfant, mais tellement bizarre… C’est alors que je me suis sentie envahie d’une sensation pénible, je me suis dit : elle vient de jouer tous les jours de mardi à dimanche, dont deux fois samedi, là elle sort de la dernière représentation de la semaine, et nous, avec toutes nos photos à faire signer et tous nos efforts pour capter son attention, nous sommes en train de lui pomper ce qui lui reste d’énergie. Vrai, je me suis sentie carrément coupable ! Elle avait l’air tellement fatigué, vrai, vous le dites tous, tous ceux qui l’ont approchée après la pièce, sa voix était fatiguée, ses yeux étaient fatigués (ben oui, on les a vus, elle a retiré ses lunettes au bout d’un moment), mais elle portait beau, redressait le torse, vaillant petit soldat.
C’est extraordinaire ce souhait de faire une dédicace personnalisée à chacun. C’est tout elle, aussi, ce perfectionnisme, cette générosité… Mais elle était déjà épuisée par la représentation, toutes les représentations de la semaine, il lui fallait en plus se concentrer pour écrire un mot gentil à chacun, et elle ne pouvait pas se concentrer, elle ne cessait d’être interpellée… Ah, je vous ai dit, je ne sais que penser de tout cela, c’était peut-être bien que l’ambiance ne soit pas cérémonieuse, coincée, elle ne pouvait pas l’être avec notre huluberlu ; mais je voyais bien, nous voyions tous que nous tirions sur la corde, qu’elle devait être à bout de fatigue.
Elle, par ses paroles, sa disponibilité, ses sourires, ne montrait que de la gentillesse et de la patience.
Ça a été le tour de la jeune fille. La petite veinarde qui n’a vu encore que La Reine Margot et Les Sœurs Brontë. Elle a présenté son programme, indiqué son prénom, et j’ai vu le feutre courir sur le papier glacé, d’où j’étais je voyais toutes les dédicaces se dessiner sous les doigts d’Isabelle A. Régulièrement ponctuées de petits soleils.
Puis la jeune fille a demandé à Isabelle Adjani si elle pouvait se faire prendre en photo à son côté. Isadja a dit :«Non, pas de photo» avec son sourire de une seconde et demie. Son sourire qui congédie.
Après, je ne sais plus. Je ne sais plus si d’autres personnes sont passées avant moi. J’avais à la fois envie que cet instant se prolonge à l’infini, être en Sa présence, et envie de me trouver à mille lieues de là, La laisser en paix. J’étais aussi stressée par ce que je m’apprêtais à faire. Ce que je m’apprêtais à lui donner. Je m’étais mis la pression toute seule, depuis quinze jours.
4 commentaires:
Merçi Loquita pour ce témoignage.Toujours cette merveilleuse façon d'écrire.
Etrange en effet tout ce tohu bohu autour d'IA dans cette petite pièce au bas des escaliers.Elle fait preuve d'une immense patience et elle doit avoir hâte de terminer les représentations le 31/12.Est ce que tu as su quelque chose sur ses éventuels projets?
Si tu te rends à la dernière je penserais très fort a toi à 20h30.
J'espère trouver des photos ou des articles dans la presse.Je me souviens qu'à la dernière de "la dame aux camélias"il y avait un très joli papier dans Paris match.
Merci pour vos "mercis", Carolina et Tazyzas... J'en profite maintenant, parce que quand Fred va publier la FIN de ce que j'avais à raconter, vous allez m'exclure de ce blog !
Ta phrase est trop laconique Loquita.ça m'engoisse!
Mais non...Vous en faites pas!
Loquita t'exagères !!!
C'est très joli la suite...
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