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Une tragédienne est née
La Dernière Nuit pour Marie Stuart de Wolfgang Hildesheimer
Autrefois, j’étais une beauté inégalée. Aujourd’hui, je ne peux plus supporter ma propre haleine. Oui, peut-être est-il temps ? » Temps de renoncer, temps d’accepter, d’abandonner…
Sur ces mots de la reine Marie Stuart, surprise ici par le dramaturge allemand Wolfgang Hildesheimer (1916-1991) quelques heures seulement avant son exécution, Isabelle Adjani semble commencer une nouvelle carrière. Plus grave, plus profonde, plus bouleversante qu’elle a jamais été au théâtre. Est-ce d’oser prononcer ces mots, d’oser affronter après trente-cinq ans de métier l’épreuve du temps ? D’oser apparaître le corps plus lourd, le cheveu plus ingrat, le visage moins lisse ? L’actrice, dans La Dernière Nuit pour Marie Stuart, paraît comme libérée d’elle-même, de son imagerie de star éternellement adolescente, sauvée, enfin, de ses minauderies et mignardises. Magnifique. Qu’on écoute juste sa voix : avant que le spectacle commence, dans l’obscurité de la salle, un timbre enfantin, étonnamment cristallin, déroule sa généalogie. « J’étais reine d’Ecosse et aussi reine d’Angleterre. Mon père, le roi Jacques V d’Ecosse était le fils du… » Puis, peu à peu, la voix prend du grain, du tanin, de l’âge. Par quel miracle, en quelques minutes, en quelques phrases, une comédienne parvient-elle à nous faire traverser une existence ? La magie est installée. La pièce peut démarrer.Sans génie. Juste dirigée avec l’efficacité nécessaire par Didier Long. Mais peu importe qu’il ne se passe pas grand-chose dans cette Dernière Nuit pour Marie Stuart. Une reine à bout de souffle après vingt ans d’emprisonnement ; des domestiques cupides qui se disputent ses derniers bijoux… C’est que leur maîtresse n’a jamais, non plus, été tendre. Capricieuse princesse d’Ecosse, la très catholique Marie Stuart (1542-1587), éphémère épouse de François II et souveraine de France, lutta sa brève vie durant pour retrouver et conserver son pouvoir sur la terre de ses ancêtres ; et pourquoi pas, aussi, sur celle de sa cousine Elisabeth, la sévère reine d’Angleterre. Laquelle finit par condamner à mort son intrigante parente, une des femmes les plus romanesques, les plus cultivées de son siècle. Le romancier et biographe Stefan Zweig l’a admirablement décrite en 1935, et sa fin tragique : le bourreau qui doit s’y reprendre à trois fois pour lui trancher la tête. Et quand la tête roule enfin du billot, la perruque qui tombe et laisse apparaître une maigre chevelure blanche. Toute blanche. A 45 ans seulement.Marie Stuart a brûlé sa vie. Avant de se sauver in extremis par une mort offerte à Dieu, vibrante de mysticisme. « Dans ma fin est mon commencement », fait dire Wolfgang Hildesheimer à l’héroïne très romantique qui avait déjà fasciné, en 1800, son compatriote Schiller. L’homme s’y connaît en destins tragiques, en ultimes moments terrifiants, lui qui fut l’un des interprètes au procès de Nuremberg en 1946… Si sa pièce reste anecdotique, fourmillant de personnages secondaires insignifiants, le parcours intérieur qu’elle permet à Isabelle Adjani est éblouissant. Comme dans une arène, la comédienne, hagarde et frémissante, promène une détresse obsédée de sainteté. On se souvient de ses interprétations au cinéma d’Adèle H. ou de Camille Claudel, héroïnes torturées par la passion ; sauf qu’ici elle va en direct, devant nous, au bout du chemin. Sans artifice, même pas belle. Elle s’offre. Se donne. Et son jeu colle admirablement au personnage. L’a-t-elle choisi parce que certaines de ses phrases auraient pu être siennes : « Extérieurement je ne suis plus rien, j’étais la plus belle de la cour de France, les autres femmes m’ont imitée, enviée jusqu’à la haine. Elles ont fait courir sur moi des bruits. Elles m’ont inventé une vie que je ne menais pas. Un temps j’ai tenté de me justifier. Mais à quoi bon ?… Je ne pouvais pas lutter. Tout ce qu’on a colporté sur moi m’a tuée. On se retournait sur mon passage. Maintenant ceux qui se retournent sur moi ont les yeux remplis de compassion. » D’admiration, surtout. Dans la fin des prétextes, des afféteries, est bel et bien le commencement d’une immense actrice. Adaptation et mise en scène de Didier Long.Au Théâtre Marigny, Paris 8e. Tél. : 0-892-222-333.
Fabienne Pascaud
Télérama n° 2958 - 23 Septembre 2006
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2 commentaires:
Quelle critique! Impressionnant! Merci Fredjani. Il faut vraiment que tu ailles la voir; ça n'est pas possible d'être à ce point dévoué (dans le bon sens du terme) et de ne pas franchir le pas!
Les critiques sur le travail d'Isabelle sont toutes dithyrambiques.Elle le sont moins sur le texte.Mais comme cela doit lui faire un bien fou! Elle semble ètre dans une période très positive de sa vie d'artiste.Tout le monde est d'accord pour saluer son talent inégalé.Elle est la seule actrice à avoir un parterre de roses chaque soir.Très impressionnant et émouvant.
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