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11 mars 2010

Isabelle Adjani : "La femme aux cinq César"



C'est le retour d'une femme en or. Aussi à l'aise sur les tapis soyeux du George-V que dans la peau d'une prof de banlieue qu finit par prendre sa classe en otage dans un huis clos haletant. Ce rôle, salué par la critique et le public, lui a valu, samedi 27 février, son cinquième César de la meilleure actrice. Une première en France : aucun comédien n'avait jamais obtenu un tel palmarès. Cette récompense est d'autant plus remarquable qu'Isabelle Adjani tourne peu et qu'elle a pris tous les risques pour jouer ce qui était au départ, un téléfilm à petit budget. mais de ces difficultés, elle a fait un tremplin. Isabelle Adjani est un phénix d'une rare espèce, qui sait marier sérénité et incandescence.










Paris Match. Quand vous avez reçu votre cinquième César, vous avez déclaré : “Je crois que je n’ai jamais été aussi émue.” Quelles étaient les véritables raisons de cette émotion ?
Isabelle Adjani. Une telle reconnaissance de ses pairs est forcément émouvante, surtout avec un film qui n’était pas destiné à cela. C’est une toute petite entreprise, partie de nulle part, qui est arrivée jusqu’aux honneurs suprêmes. Ma conviction personnelle a participé à cette aventure. C’est rare d’être aussi seule – je veux dire à part l’équipe –, à croire en un projet. Ce César est la récompense du culot et de la conviction.



Cette reconnaissance, vous n’avez jamais douté qu’elle reviendrait ?
Je ne vois pas pourquoi vous me posez cette question. La reconnaissance et le respect pour mon travail, je les ai toujours eus. On ne peut pas m’enlever ce que j’ai fait et ce que je sais faire. Bien sûr, on attend de moi, et je le comprends, que je sois sur les plateaux et que j’enchaîne les films. Je me suis fait désirer malgré moi. Dois-je encore prouver que j’aime ce métier plus que tout quand je l’exerce ?

Vous avez dit que cinq, pour cinq César, est un chiffre magique. En quoi l’est-il ?
Hamsa ! Ce qui veut dire cinq en arabe. C’est aussi la main de Fatma qui enlève le mauvais œil. Dans le pentagramme, c’est un chiffre qui permet de décrypter les textes sacrés. C’est aussi le chiffre fétiche des elfes et des sorcières. Surtout, ce cinquième César est un passeport pour la liberté. Comme si on m’avait dit : “On t’aime, on a confiance en toi, tu t’appartiens, on est avec toi.” C’est comme une confirmation d’adoption.

Dans votre discours de remerciements, vous avez évoqué la mixité des cultures. Les César ne l’ont-elle pas consacrée cette année ?
Bien sûr, et c’était merveilleux. L’image d’une France nouvelle, multiple et multiculturelle. Cette reconnaissance du côté de la réconciliation nationale m’a beaucoup plu.

Cinq César de la meilleure actrice, est-ce que ça donne le sentiment d’entrer dans l’Histoire ?
Non, ce qui m’étonne, c’est d’en avoir obtenu cinq en ayant fait si peu de films. Si j’avais travaillé plus… Je plaisante. Je le prends avec beaucoup d’humilité. Je l’ai vécu dans un état second. J’ai senti la salle vibrer pour moi dans une sorte de bourdonnement intérieur. J’étais en état de choc.

Pourquoi être si bouleversée ?
Sentir cet amour des gens… [Elle pleure…] Je ne m’en suis pas encore remise. Je m’en souviendrai toute ma vie. Je me suis rendu compte combien on m’aimait, que je n’avais pas besoin d’en douter. Peut-être que je le mérite un peu, mais ce qui est certain, c’est que j’en ai besoin. C’est encore plus fort qu’au moment du César reçu pour “Camille Claudel” en pleine rumeur de sida. Vous savez, cette rumeur malsaine qui cherchait à me faire mourir et qui planait au-dessus de ma tête comme une fatwa.

Vous avez défendu Salman Rushdie, vous vous êtes engagée contre les tests ADN des émigrés candidats au regroupement ­familial, contre les déclarations du pape sur les préservatifs, et maintenant contre la burqa. Tenez-vous de votre mère cette capacité à vous révolter ?
Ma mère n’était pas une guerrière ni une combattante. Mon père non plus. Je me révolte au nom de leur effacement, de leur résignation, de leurs rêves abandonnés, de leur ambition déçue de vivre une vie pleinement réussie. L’existence les a brisés. Je me bats au nom de leur souvenir.

Est-ce quelque chose que vous avez transmis à vos deux fils, Barnabé et Gabriel-Kane ?
Barnabé, l’aîné, est absolument comme ça, tourné vers les autres, citoyen engagé pour qui la solidarité compte énormément. Je suis très fière de lui. Gabriel-Kane est tout à fait sensible à la notion d’injustice. On parle ensemble de ces combats qu’il faut mener, de ces luttes qu’il ne faut pas lâcher. Je suis dans la réalité des choses, je fais ce métier pour transmettre, pour faire passer des convictions. Je suis engagée citoyennement, mais oubliez le politique ! J’ai lu que j’avais toute ma place dans une commission de réflexion sur l’identité nationale. C’est non. C’est tellement loin de moi !
Vous avez déclaré récemment que vous commenciez à vous amuser. Qu’appelez-vous vous amuser ?
Reprendre pas seulement ma liberté mais des libertés. Echapper aux conventions, faire ce que j’ai envie de faire. Je me sens entreprenante et entrepreneuse. J’ai monté une société de production pour développer des projets, j’engage des auteurs. On peut faire tout ce qu’on veut, même si ce n’est pas très français comme concept.

Dans la vie, le fait que votre fils Gabriel-Kane ait choisi d’aller vivre avec son père, Daniel Day-Lewis, change-t-il les choses ?
Gabriel-Kane a décidé que la jeunesse ne durait que dix-huit ans. Il en a vécu quatorze avec moi, il va passer les autres auprès de son père. C’est aussi un cadeau qu’il me fait consciemment. Il m’offre la possibilité de me mettre au travail sans que je me dise : “Je ne peux pas partir deux mois et le laisser seul.” Daniel et son épouse sont très organisés dans l’éducation des enfants. Donc la mère couveuse que je suis est un peu rassurée.

Vos fils étaient-ils persuadés de votre cinquième succès aux César ?
Les deux avaient décidé que je le méritais. Barnabé devait m’accompagner à la cérémonie, mais il déménageait de la Provence à Paris, où il s’installe, et n’a pas pu venir. Chez nous, la vie est plus importante que les cérémonies. En fait, ils étaient là tous les deux par l’esprit. Comme ma mère, qui n’a jamais été aussi présente.

Sur le tournage de “Diabolique”, Sharon Stone avait trouvé le secret de votre jeunesse éternelle : la pétillance de vos yeux. A qui la devez-vous ?
Maman a toujours eu, jusqu’au bout, une excitation de petite fille. Elle faisait preuve d’une gaieté et d’une joie de vivre que je suis en train de ressentir en vieillissant. Je reprends l’héritage. Je crois que je vais être beaucoup plus gaie dans la deuxième partie de ma vie.

Vous évoquez pourtant une souffrance vécue pendant l’enfance que vous avez pu régler par l’analyse. D’où venait-elle ?
Ma vie était très démoralisante, difficile, auprès d’un père dépressif et répressif, que j’adorais mais qui ne m’accordait guère de possibilités d’avoir confiance en moi. Il me testait sans jamais me rassurer. J’ai vécu dans une grande ­inquiétude.

Dans la “La journée de la jupe”, on sent bien que, malgré le statut de star, vous n’êtes pas déconnectée de la banlieue où vous avez grandi. Vous sentez-vous proche des jeunes qui vivent dans les cités ?
Evidemment. J’habitais moi-même dans une cité devant un terrain vague, à Gennevilliers. Je me sens proche des gens en difficulté, quels qu’ils soient, où qu’ils se trouvent. Leur manquer de respect serait pour moi un péché.

Votre plus jeune fils parle d’un casting pour trouver le prochain homme de votre vie ! Quelles qualités devrait-il posséder ?
Il doit juste vouloir mon bien, sincèrement. Avoir envie de me protéger, de m’aimer humainement pas pour ce que je représente mais pour ce que je suis. Pour ce que je ne suis pas, aussi, avec mes défauts de tous les jours. Je n’ai jamais demandé la lune, je veux juste un peu de soleil.

Etes-vous en quête d’un nouveau compagnon ou, comme vous l’avez déjà dit, pouvez-vous vivre sans passion ?
Je ne suis en quête de personne. Je fais confiance à la vie. Mon système de confiance dans les hommes a été victime d’un séisme récent mais cela ne m’empêche pas d’avoir confiance quand même.

Etes-vous attirée par un même type d’homme en particulier ?
Ce qui compte aujourd’hui, compte tenu de mon évolution féminine, c’est de ne plus être victime des sentiments, d’une illusion amoureuse. A ce point de ma vie, ça me pompe l’air. Il n’en est plus question. Ce qui m’intéresse, c’est la sincérité et l’intelligence des relations. La construction de la vie. Si on tombe sur quelqu’un de pas bien, comme ça m’est déjà arrivé, c’est qu’on n’a pas comblé ses manques. Les manques sont des fissures qui permettent à ce qui n’est pas fait pour vous d’entrer chez vous. C’est réglé en ce qui me concerne. Je suis étanche à cela, désormais. Ce qui ne signifie pas imperméable à tout sentiment.

Si vous pouviez tout recommencer, vous feriez quoi ?
Ce que j’avais pensé faire au départ : m’occuper des autres, partir ailleurs, aider. C’était ma vocation. J’avais redoublé ma sixième parce que j’avais organisé tout au long de l’année une quête pour le Biafra. Les cours ne m’intéressaient plus, je ne pensais qu’à ça. L’humain est le sens de ma vie


Photos Véronique vial  dont le site est à voir absolument !
Entretien  avec Ghislain Loustalot.

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