Un lecteur a bien voulu nous livrer son avis sur le livre d'Arnaud Duprat : Isabelle Adjani un mythe de l'incarnation. (éditions le bord de l'eau)
Un "fan" de la première heure qui communique avec aisance son ressenti et ses premières impressions positives sur ce livre ... et vous , l'avez-vous lu ?
C'est le premier livre véritablement
« adjanien » (et j'ai lu tous les autres) centré sur le
cinéma. Le talent et l’expertise de l’auteur sur la nature de
l'artiste servent parfaitement son propos. Le livre est bien analysé,
et surtout illustré de façon pertinente.
Comme je connais les films et les
pièces par cœur, tout me parle, au plan visuel et au plan sonore,
comme dans la vibration quasi télépathique. J'ai attendu ce livre
pour l'été, puis l'ai espéré pour la rentrée, et finalement ai
plongé dans la fiole de folie des anagrammes d'un ami et voisin
Jacques Perry Salkow pour tromper l'impatience d'octobre. Suspendre
l'attente pour plonger dans l'identité spirituelle. Il y a pas mal
d'années j'ai écrit un petit texte entre mon quotidien et les
personnages adjaniens, qui avait été publié dans Isastar (magazine
photocopié puis tiré en offset), cette correspondance à distance
avec l'essence d'un souffle.
Pour moi le fil
conducteur des rôles adjaniens, c'est porter par la beauté le
sublime du drame. On a la faiblesse d'identifier la comédienne à
tous ses rôles alors que c'est elle qui s'empare de ceux-ci et se
les approprie à tel point qu'on ne fait plus la différence. En
réfléchissant on sait bien qu'elle ne peut pas être tous ces
personnages aussi différents les uns des autres. Et pourtant sa
force est de les relier, les unir tous. C'est elle le fil conducteur,
le lien. J'ai en tête des personnages qui iraient très bien dans la
filiation adjanienne, Alexandra David Neel, Hetty Hillesum, Phèdre,
Greta Garbo. J'étais en Avignon cet été, et en écoutant les
souvenirs des membres du public sélectionnés par Jérôme Bel puis
en écoutant Denis Podalydès lire "Avignon à vie", je me
disais qu'Isabelle manquait au panthéon de l'histoire d'Avignon et à
celui de la cour d'Honneur en particulier. La très belle vidéo
consacrée à ce sujet dans l'exposition "Populaire" à la
maison Jean Vilar me le disait aussi. Le romantisme est un point
central des héroïnes adjaniennes, avec les écueils, les obstacles,
l'apprentissage et les limites de la raison. Déraisonnables et
libres. Avec ce petit rien de différent des autres qui crée une
distance, et donne une lumière particulière.
Je
sors beaucoup, théâtre, opéra, concerts, expositions,
performances, je voyage dans les montagnes (13 fois en Himalaya, et
aussi dans les Rocheuses, Cordillère, Alpes, Pyrénées) en quête
d’absolu à ma façon, mais quand Adjani apparait c'est elle qui
devient l'urgence prioritaire. Je ressens comme une gémellité,
symbolique, une connivence. J'ai 55 ans et elle s'est imposée dès
l'école des femmes. Cette légèreté d'une relation immatérielle,
et malgré tout incarnée, est une lumière, une présence.
Revenons
au livre : Les théories que développe l’auteur sur Adjani ne
sont-elles pas adaptables à de nombreux artistes (mes illustrations
resteront en France) ?
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L'acteur auteur :
Que
serait Mortelle randonnée sans Serrault, L'été meurtrier sans
Souchon, Camille Claudel sans Depardieu, La repentie sans Samy Frey,
la Reine Margot sans Lisi Langlade Greggory la troupe de Chéreau, La
gifle sans Ventura (et quelle main) et Girardot (ses parents de
cinéma), Les diaboliques sans Stone, Le locataire sans Polanski,
Barrocco sans Piser et Depardieu, Les soeurs Bronte sans Pisier
Huppert Greggory Sapritch, Clara sans la bande du Splendide, etc.
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Ce n'est pas le cinéma qui a révélé Adjani à elle-même et au
public mais bien le théâtre. Par contre elle a réussi le passage
du théâtre au cinéma contrairement à Huster, d'autres ont fait le
choix de rester au théâtre.
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D'autres comédiennes ont également tracé un parcours identifié
avec une ligne de personnages, Romy Schneider (certes elle sort de
Sissi mais Adjani sort de la gifle), Deneuve, Huppert, Bonnaire,
Signoret, etc, c'est aussi le propre d'une génération. On pourrait
dire aussi à contrario que le cinéma a aussi tendance à enfermer
les artistes dans un emploi.
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Par contre il est certain qu'Adjani est très soucieuse de son image,
j'espère la voir vieillir comme Madeleine Renaud, Suzanne Flon,
Danielle Darrieux, Simone Signoret, Romy Schneider (partie trop tôt)
Michèle Morgan (d’une élégance incroyable), etc.
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Peut-elle sortir d'un style de rôle ? Est-ce nécessaire ? Rien
n'est certain.
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Les lunettes noires commencent à faire régulièrement leur
apparition à l'écran, attention à cet accessoire agaçant.
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Son jeu sans texte est inégalable, le plan dans La repentie avec le
sosie fils (?) De Delon, séquences d'Adolphe, Driver, Subway, Adèle
etc. On rêverait d'un film muet à la Garbo (elle aussi acteur
auteur, ligne de personnages, quête, rapport au sexe difficile des
personnages, et blocage sur le vieillissement), autre mythe.
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Sa voix est une partition dans chacun de ses rôles, l’auteur ne
cite pas à ce sujet Mortelle randonnée mais c'est le plus brillant
des films adjaniens aussi dans la transformation reconnaissable avec
la voix qui change. J'ai un souvenir très fort de son interprétation
de Marie Stuart notamment.
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Le cinéma français ou européen est le sien, car le cinéma
américain fait dans la franchise commerciale standardisée, elle est
faite pour l'artisanat.
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Une étude reste à faire sur tous les films et les rôles refusés
(la liste s'est encore allongée y compris dans le théâtre lors de
ses aveux après le décès de Chéreau). La leçon de piano est le
film quasi muet qui manque à sa filmographie.
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Le chemin d'Adjani est à un tournant, peut-elle vieillir à l'écran
(je connais de nombreuses très belles femmes de 60 ans et plus, âge
qu'elle aura bientôt), peut-elle changer de ligne de personnages,
peut-elle créer d'autres récits, explorer la réalisation, la mise
en scène ? Le veut-elle ? Une actrice reconnue comme Jodie
Foster y arrive très bien.
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Adjani est victime (active ou involontaire ?) d'un piédestal où
chacun veut la placer, d'enjeux de récompenses dont la liste est
longue, de qualificatifs en surenchère superlative, d'exception, qui
ne peuvent qu'enfermer et placer la barre toujours plus haut. Sortir
de ce cercle n'est pas sans danger. Sauf à accepter de passer par le
fait de ne plus plaire d'une certaine façon (expérience qu'elle
traverse dans une certaine mesure) pour tracer une autre voie.
L’enfermement que peuvent provoquer le statut de star, le mythe, la
perfection artistique, forme autant d’écueils qui justifieraient
ou expliqueraient à eux seuls les absences, les silences, les fuites
et dédits.
Le prochain film sera un film choral de
femmes par Audrey Dana, il reste à espérer qu’Isabelle Adjani
trouve du plaisir à être à l’écran sur scène ou ailleurs
encore.
Bien sincèrement.
Bruno Lonchampt
Merci à vous Bruno , pour ce témoignage et cet avis éclairé de ce livre.
Par ailleurs vous pouvez toujours lire l'interview d'Arnaud Duprat à l'occasion de la sortie de son livre
1 commentaire:
Enfin j´ai pu lire ce livre magnifique!!!
Un vrai cadeau pour nous tous, le fans de Isabelle A!!!
Un grand merci à Arnaud Duprat pour son travail profond et bien sur à M-lle Adjani!
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