C’est son grand retour. Mais Isabelle Adjani nous a-t-elle jamais quittés ? Après La Journée de la jupe, la voici en guest star dans Mammuth (1), une comédie décapante. Au fond de ce café où elle traque le mot juste, elle rit beaucoup et, à notre trac avoué de rencontrer « Isabelle Adjani, quand même », réplique : « Il faudrait que je me le répète plus souvent : “Je suis Isabelle Adjani, quand même.” » Malicieuse manière de relativiser sa célébrité et les FANTASMES qu’elle inspire.Par Sophie Grassin
(1) Un film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, en salles le 21 avril
Interview à retrouver sur le magazine (en vente dès aujourd'hui) ou à lire sur le site madamelefigaro
Isabelle et le franc-parler
« Je respecte la parole donnée ou prise et, quand je lis les autres, j’ai envie de m’y retrouver. Ça passe par le “bien-parler”, qui se confond parfois avec le franc-parler. Chaque entretien est un extrait du journal intime que je ne tiens pas. Et leur succession livre de moi un portrait chinois, puisqu’on oublie assez vite, au fond, celle qu’on a été à chaque moment. Cet amour du texte a commencé dès l’enfance. Mon père s’exprimait dans un merveilleux français. Ma mère, d’origine allemande, faisait des fautes qui lui donnaient du charme, mais qui m’agaçaient. J’ai su lire avant le CP, et cela m’a aidée à vivre en me dévoilant que tout était possible dans le milieu où je vivais et où rien ne semblait l’être. Pourquoi n’ai-je pas fait de déclaration politique aux César ? Je ne suis pas là pour faire de l’escalade idéologique à chaque intervention. Je n’ai aucun désir de gagner le concours de la pasionaria. »
Les César
« L’après-midi de la cérémonie, j’ai été prise d’une crise de tétanie. J’étais bourrée d’antispasmophile. J’avais du mal à respirer et, lorsque j’ai entendu mon nom, devoir me lever et avancer était devenu une épreuve. J’étais en état de sidération. J’ai tout de même réussi à me donner le coup de pied qui m’a poussée vers la merveilleuse potence de la récompense. J’éprouvais stupéfaction et reconnaissance : ainsi, les votants avaient suivi leur élan sincère, l’élan pour l’élan. Ainsi, ils avaient pensé : elle nous a embarqués, on ira avec elle jusqu’au bout. Ce César m’a procuré une émotion supérieure aux quatre autres. C’est, dit-on, un record. Mais le record consiste surtout à en avoir obtenu cinq en totalisant si peu de films. (Elle rit.) Est-ce qu’on se demande si Vanessa Paradis ou Béatrice Dalle peuvent revenir lorsqu’elles font des pauses prolongées ? Je ne sais pas si ce type de question est plus bête que méchant. »
Jean-Paul Lilienfeld
« Que je travaille avec Jean-Paul Lilienfeld (le réalisateur de La Journée de la jupe, NDLR) a surpris, et beaucoup m’en ont fait la remarque : il n’avait pas “la carte”, “ça risquait d’être ringardisant”. J’ai adopté une position claire : ne pas voir ses films, me cantonner à son scénario. Quand La Journée de la jupe a enregistré un record d’audience sur Arte, j’ai souhaité que ce “petit exploit” se mue en une exploitation cinématographique. “Pourquoi t’agites-tu ? me demandait-on. C’est déjà formidable.” Le film, sélectionné au Festival international de Berlin, est devenu catégorie A. Il avait la licence pour sortir en salles, contre l’avis des distributeurs et des syndicats d’exploitants. Je suis très fière de cette petite jurisprudence officieuse. J’ai la condescendance parisianiste en horreur. Jean-Paul Lilienfeld ne manque pas de talent. Il avait juste besoin d’un espace de création. Le film me “challengeait” : l’héroïne ferme la porte de sa classe et, en une minute, il fallait tout faire basculer. Je savais que si nous parvenions à faire avaler cette pilule d’audace, nous serions les rois du pétrole. Mes agents prenaient ce culot scénaristique pour un défaut. Aujourd’hui, ils ne sont plus mes agents. Quand je crois à quelque chose, j’ai tout de même un peu besoin qu’on y croie avec moi. Et puis, si dans un projet il n’y a pas un pic périlleux à gravir, à quoi bon croire à ce métier ? »
Mammuth
« Les deux réalisateurs étaient très embêtés de me proposer un rôle aussi court, mais je m’en fichais pas mal. J’incarne un fantôme, un idéal féminin. Cette femme est-elle vraiment morte dans un accident de moto ? Gérard (Depardieu) en était-il responsable ? Peu importe. “Il faut au moins une scène où tu n’as pas de sang sur la figure”, répétaient Delépine et Kervern. Je rétorquais : “Mais non, il faut aller à fond dans le flash bunuélien à la frontière de l’horreur.” Je suis absolument dingue de Louise-Michel. Ces deux-là font un cinéma social français empreint d’une poésie très “kaurismakienne”. J’ai retrouvé Depardieu. Avons-nous bu des coups ? Il les a bus tout seul. J’adore l’écouter. Il est habité. Ensemble, nous pouvons au bout d’une demi-heure nous mettre à parler une langue que personne ne comprend sauf nous. Ça a démarré sur Barocco (André Téchiné), continué sur Camille Claudel (Bruno Nuytten) et repris sur Mammuth, à la cantine ou allongés dans l’herbe. Nous ne nous ressemblons pourtant en rien. Mais il vous dirait, je crois, la même chose que moi. »
La beauté
« Je me suis toujours dit que je faisais semblant d’être belle et que ça marchait. (Elle se marre.) Vous m’assurez que mes personnages – Adèle H., Camille Claudel où Ellénore, l’héroïne d’Adolphe, un roman qui me fait pleurer depuis l’âge de 16 ans – finissent défaits. Peut-être… Au cinéma, comme dans ma vie privée, j’ai toujours été sensible à l’usure par l’amour… Donner trop et ne pas recevoir assez. Si vous voulez tuer une femme, enlevez-lui cet amour. Ça me touche et ça m’énerve car il m’arrive de penser : “Ça n’est pas possible, ce qu’une amoureuse est conne !” En gros, les salopes ont la vie plus belle. Dans Impostures sur papier glacé, je jouerai d’ailleurs une salope intégrale… (Elle éclate de rire.) Un peu de coaching me fera du bien. Bizarrement, et même si cette idée me déplaît, j’ai toujours eu l’impression que mes rôles laissaient une espèce d’empreinte en moi à mon insu. Ici, une actrice incapable de laisser ses personnages au vestiaire n’inspire pas l’empathie, alors qu’on respecte les Anglo-Saxons pour leur puissance d’incarnation. Daniel Day-Lewis, par exemple, ne sort jamais de son personnage pendant un tournage. Ses intimes l’acceptent. Mais cela peut être épouvantable à vivre. Moi, j’ai appris à me détacher de cette tendance qui, dans le cas de Daniel Day-Lewis, devient une culture, talent oblige. Penser qu’il faut être tout ce qu’on est quand on joue, je ne l’ai cru que dans mes jeunes années, même si l’envie de “donner de sa personne” me restera familière toute ma vie. (Elle sourit.) »
Les hommes
« On m’a souvent comparée à des hommes comme Michel Simon ou James Dean. J’ignore pourquoi. Sur L’Histoire d’Adèle H., Truffaut me comparait à Charles Laughton. Et aujourd’hui, le plus grand compliment que l’on pourrait me faire serait d’évoquer Philip Seymour Hoffman. Je me suis souvent laissé déborder par l’envie de réussir ma vie sentimentale… Ce n’est pas le bilan du siècle. J’aime l’idée qu’un homme doit s’occuper d’une femme et lui vouloir du bien. Dès que le schéma s’inverse et que la femme se laisse instrumentaliser, on ne perd pas que le mystère. On perd aussi l’amour. J’ai été une incorrigible romantique. Quelle fatigue ! Sous les chocs émotionnels, le cœur et la santé s’usent. Mieux vaut garder la forme en papillonnant. »
L’ambition
« J’appartiens à une génération d’actrices sentimentales. Celles d’aujourd’hui sont plus égoïstes, plus pragmatiques, plus “matter of fact”. C’est la loi d’un nouveau genre qui cultive la notion de “produit”. J’ai moi-même appris à modifier mon point de vue et mon ressenti par nécessité. Il faut bien s’adapter, sous peine de pourrir sur pied. “Être” avec un grand “E” ne devrait jamais ressembler à une technique pour “avoir” avec un petit “a”. Mon fond humain est incorruptible. Et la tentation n’en fera jamais un fonds de commerce. »
Photo Véronique Vial/ H&K
Merci à Rafaël pour le lien.
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2 commentaires:
magnifique photo;adjani telle qu'on l'aime!!!
interview toujours aussi géniale!
Djilali
Merci ! Elle a raison quand elle parle sur les actrices de cinéma actuelles..
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