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2 mai 2009

"J'aurais aimé être enseignante"


J'aurais aimé être enseignante


Magazine toujours en vente (avril-mai)





Dans le film La journée de la jupe, Isabelle Adjani interprète avec une justesse troublante le rôle d'une professeur de français que la fragilité mène aux pires excès. Peut -on s'approprier si bien un rôle qui ne comporterait pas un peu de soi ? Non, on ne savait pas encore tout d'elle... Confidences.



On savait Isabelle engagée. Contre l'intégrisme et le racisme. Contre le voile à l'"école et les test s ADN. Mais, lorsqu'elle offre son talent pour défendre l'égalité des chances en matière d'éducation, son jeu prend une dimension politique inattendue. Quelle meilleure ambassadrice pour l'égérie aux yeux bleus pour taper du poing sur le bureau des ministères concernés. Ras-le-bol de la spécialisation à outrance dans les collèges pour des élèves aptes à suivre une voie générale, des ministres plus prompts à étouffer les bruits susceptibles de trouver dans la presse un écho défavorable à une personne... La journée de la jupe, c'est avant tout un film qui montre . Libre à chaque spectateur d'y puiser ses révoltes. Et bien fou qui en ressort indemne...


Le goût de transmettre est-il un trait de votre caractère , ou l'avez-vous simplement emprunté en incarnant le personnage de cette enseignante ?
J'ai en moi , depuis toujours , ue fibre pédagogique. Transmettre, c'est mon métier. Enfin, je l'espère...
J'aurais très bien pu devenir professeur. Cette option aurait été parfaitement envisageable dans ma vie, si j'avais continué mes études. J'aurais alors enseigné les lettres. Oui, j'imagine très bien dans cette situation. Lorsque je suis avec des enfants, j'ai toujours tendance à organiser les choses pour eux, à vouloir les tester sur ce qu'ils savent, sur ce qu'ils aiment. Je peux même être fatigante avec ça ... (rires)

Qu'est-ce qui vous a séduit dans le rôle de cette enseignante ?
Par exemple, la situation impossible dans laquelle elle se trouve, la façon dont les enfants entrent dans la classe. A la manière dont le professeur est plaqué au mur, on réalise que cette situation est répétitive. En l'espace d'un court instant, on comprend son épuisement, son découragement. et malgré cela , on sent en elle une détermination et puis un attachement à ces enfants, qu'elle essaie de masquer au nom du respect de sa fonction. Il n'est pas question d'être complaisant ou démagogique. Pédagogique oui, mais pas au-delà d'une certaine ligne de réserve. Ce professeur est un personnage que j'ai été très touchée d'interpréter.

A qui s'adresse ce film en priorité ?
Il s'adresse aux adolescents. Certains seront certainement dans le déni, d'autres dans la réflexion ou bien dans la surprise. Il s'adresse aussi aux parents d'élèves. Pour les enseignants des ZEP, ce film peut avoir valeur de témoignage. C'est une manière de leur dire : "On sait ce que vous vivez." Je pense néanmoins qu'il doit être impossible pour eux de cautionner ce film dans son intégralité. Le passage à l'acte de cette enseignante ets parfaitement répréhensible. Mais c'est une fiction et non un documentaire.

Aviez-vous prévu, lors du tournage du film, le succès d'Entre les murs dont la thématique est proche ?
Je connaissais l'existence du roman de françois Bégaudeau, mais je ne l'avais pas lu . Lors du tournage de la journée de la jupe, nous avons entendu parler du film, adapté du roman en compétition au festival de Cannes, qui abordait cette question de la difficulté de l'enseignement. je me suis alors dit : "Enfin, ce sera moins difficile de faire des films sur ce sujet. Nous ne serons pas traités comme quantité négligeable." La journée de la jupe est moins consensuel. Nous ne sommes pas dans un idéalisme angélique. Je pense que Sonia Bergerac aimerait bien être ce professeur d'entre les murs, mais elle n'en a pas le loisir. En appliquant les méthodes de cet enseignant, François Bégaudeau, elle serait réduite en bouillie.

En montrant de manière crue la réalité du métier d'enseignant dans les banlieues difficiles, que souhaitez vous dénoncer ?
Le système de spécialisation mis en place dans les collèges difficiles de banlieue devrait, à mon sens, évoluer. Je souhaite que change cette façon de fabriquer une discrimination, une ségrégation au sein de l'enseignement. Aujourd'hui, un enfant scolarisé dans une école publique doit faire preuve d'une plus grande déterminatioin que les autres. Il doit acquérir par lui-même un sens de son propre destin, or c'est une chose presque impossible. Ce n'est pas juste, mais la prédisposition particulière pour l'étude, afin de suivre, d'apprendre et de progresser, ça existe !
C'est une sorte de loterie. Un enfant un peu hésitant n'a quasiment aucune chance de développer un intérêt particulier qui pourrait pourtant avoir une fonction de tuteur pour lui.

D'où vient cet échec du système éducatif dans les banlieues, selon vous ?
Les classes d'enseignement prioritaire pluriethniques sont remplies de codes culturels différents et c'est bien compliqué. Certains des enfants sont un peu les victimes des non-résolus entre la France et l'Algérie. Pour ceux de la 3ème génération, ils sont dans un no man's land qu'ils ne peuvent qu'occuper qu'en opposition. Ils ne savent pas qui ils sont, ni d'où ils viennent et c'est un problème qu'on n'a pas le temps de traiter dans le cadre de l'école . Il va pourtant falloir trouver un espace-temps pour les revaloriser de manière à ce qu'ils trouvent de l'intérêt ailleurs que dans la tentation de la délinquance. Nous devons trouver la façon de les intéresser à ce qui peut les construire. S'ils ne construisent rien, ils tomberont dans l'amertume. Ils ne peuvent alors que vivre dans cette double exclusion : l'exclusion de leur histoire et celle de la République. Ils sont égarés et s'enferment dans une langue qui leur donne une identité. Je me souviens d'une très belle scène dans l'esquive, d'Abdellatif Kechiche. Un profeseur de français tentait de leur faire travailler un Marivaux. Elle se servait de leurs émotions, de leur attirance pour une fille ou un garçon pour leur faire comprendre la beauté des choses. Elle essayait de les faire sortir de cette langue "ghetto" pour leur faire découvrir l'amplitude de la langue française. Elle leur disait qu'elle n'était pas leur ennemie : " Ce qui a fondé cette langue, accueillez-le et elle vous accueillera aussi."

Votre propre père était d'origine algérienne. Comment avez-vous vécu cette intégration ?
Mon père était français . Pour lui, être en France, c'était réussir sa vie. Il n'était pas en conflit avec son départ, puisqu'il venait d'une Algérie française et parlait admirablement bien le français. Même si il avait arrêté ses études étant très jeune, même si les difficultés matérielles avaient terrassé tout espoir d'ascension sociale, il était un véritable autodidacte. J'admirais son goût pour la culture. il souhaitait réussir sa vie en donnant la possibilité à ses enfants de réussir la leur. Tout en étant un simple ouvrier, il m'aidait à faire mes devoirs de maths. A la maison, je vivais dans ce paradoxe. Si je n'avais pas entrepris cette carrière de comédienne, j'aurais poursuivi des études aussi longues que possible. Je ressens un vrai manque, j'ai comme une carence. J'ai toujours souffert de cela. Je serais tentée de suivre des cours de philo pour adultes.

Comment avez-vous gagné le respect de ces enfants pendant le tournage ?
J'avais l'allure et l'autorité naturelle d'un prof .

Qu' a provoqué chez vous, le fait de jouer avec des enfants qui ne vous connaissaient pas ?
Vu leur âge et le nombre de fois où ils vont au cinéma, je suis rapidement arrivée à la conclusion qu'ils ne me connaissaient pas. Cela m'a fait du bien, une timidité de leur part envers moi m'aurait moi-même intimidée, je n'aime pas la sensation d'impressionner. J'ai beau avoir un statut de star, je suis dans la réalité du quotidien, dans la réalité des problèmes. Je souhaite simplement qu'on me repecte en tant qu'être humain, en tant que femme et qu'actrice lorsque je suis au travail. Je n'ai pas besoin d'autre chose.

C'est rare pour une actrice !
C'est même carrément suspect. C'est d'ailleurs pour cette raison que je sors de ma case de temps en temps pour montrer que tout va bien, que je suis là, que j'existe, que je suis en bonne santé. Il y a une sorte de dictature qui consiste à vouloir que vous embrassiez cette profession sans répit. Je suis extrêmement professionnelle sur le terrain, je fais tout comme il faut. Ce métier est une sorte de profession de foi. Pour être convaincante, je dois moi-même être convaincue. Tel est mon rapport à ce métier. J'ai d'ailleurs beaucoup de mal à gagner ma vie avec. D'abord parce que je le pratique peu. Pour moi, il n'est pas synonyme d'enrichissement matériel. Je l'ai toujours exercé librement. Ce n'est pas très consensuel non plus, ce n'est pas très politiquement correct. De temps en temps , on me fait des procés d'intention. La seule chose qui me touche, ce sont les gens que je croise et qui me disent avec sincérité : " Pourquoi vous faites vous si rare ? Vous nous manquez au cinéma."

Quelle mère êtes vous ?
Il faudrait demander cela à mes fils. le dernier vous dirait de très bonnes choses. Il vous dirait qu'on s'aime. Je suis assez sévère, assez conservatrice. Je me dis qu'il sera toujours temps de tout se permettre après. Je suis une grande lectrice de Dolto, que j'aime énormément et qui, à mon avis, a opéré une révolution dans la compréhension du monde de l'enfance et de l'adolescence. Mais je crois qu'elle a été exagérément appliquée dans le sens de la permissivité.

Derrière la dureté des gestes de cette enseignante que vous incarnez dans le film, on vous sent très maternelle. Est-ce le cas dans la vie réelle ?
Oui, je suis extrêment maternelle. J'aurais pu avoir une grande famille. Être entourée d'enfants, c'est être entourée de vie. Je pense toutefois qu'il est très difficile pour une femme d'avoir des enfants, de les faire vivre avec ou sans conjoint-encore moins sans- et de réussir dans un métier. Il faudrait arrêter de culpabiliser les femmes au foyer qui s'occupent de leurs enfants ! Ces femmes qui ont décidé de ne pas les mettre à l'école pour leur faire cours à la maison me fascinent. Je trouve cela magnifique. Je me suis toujours dit que j'aurais aimé faire ça. Bien sûr, tout dépend de l'éducateur...

Quels sont les principes d'éducation auxquels vous tenez ?
J'essaie de ne pas oublier que je suis un modèle pour mon enfant. Je ne peux pas lui demander de faire quelque chose que moi-même je suis incapable d'appliquer. Cela commence avec le côté civique : ne pas traverser lorsque le feu est vert par exemple. Et puis, le respect. Les autres existent et il faut en tenir compte, même s'il ne s'agit en aucun cas de se négliser soi-même. Autre aspect, chez moi, on ne regarde pas la télé. Sauf pour des documentaires ou des programmes intéressants.

Qu'est-ce qui vous dérange dans la télévision ?
J'aimerais faire la guerre à tous ces programmes soi-disant signalisés comme il se doit. Je veux bien que les choses soient déconseillées aux moins de 12 ans, mais "déconseillé" me paraît un bien faible mot. Je trouve très dangereux cette confusion entre le virtuel et le réel dans l'exposition de la violence . J'ai un vrai problème avec la façon dont on oublie que les enfants sont des enfants. Notre société est de plus en plus narcissique, de plus en plus tournée vers la gratification immédiate. Elle dévore les enfants. Ils sont utilisés comme des accessoires, on les rend consommateurs pour les consommer à notre tour. Lorsque je rentre dans un kiosque à journaux, je me dis : "Pourvu qu'il n'y ait pas un gosse de 8 ans par là, parce qu'il serait à hauteur des dvd pornos." C'est une des causes pour lesquelles je pourrais devenir militante active. Peut -être que le véritable respect que l'on doit aux enfants n'est pas celui de tout passer, mais celui de les mettre le plus possible à l'abri. Ce respect, on ne l'a pas. S'il faut partir à la campagne au milieu de champs pour que ca se passe bien, c'est l'exode.

Le personnage de Sonia Bergerac vous a-t-il changée ?
Tout vrai rôle construit sur une réalité, sur une vérité psychologique et sociale, tout rôle romanesque, m'apporte quelque chose. Mais un rôle ne me change jamais; Il peut m'altérer le temps du tournage ou des représentatoions, il peut m'habiter. D'ailleurs, certains vous quittent moins vite et moins facilement que d'autres. Il y a des rôles auxquels on s'attache. Ce n'est pas un métier anodin, il ne vous laisse pas indemne. C'est aussi pour cela que j'en sors souvent. Pour ne pas me laisser faire par tout ce qui n'est pas moi. Mon antidote est de tourner moins que les autres. Un autre remède qui n'a pas toujours été à ma disposition, que je n'ai pas toujours choisi, c'est une grande stabilité affective. Sans cela, on ne peut maintenir le cap d'un travail passionnant mais dur. Personne n'est à l'abri des difficultés de toutes sortes, mais s'il y a une base solide qui vous permet de tenir debout, alors...

Photos : Clémentine Naudet
Propos recueillis par Marie Bernard

5 commentaires:

Anonyme a dit…

merci de passer l'info et de taper tout cela,moi qui suis en mauvaise entente avec le clavier..j'en frémis!!sinon,tout à fait en accord avec les erreurs de l'éducation nationale,manque de budget, de profs, de moyens,et un autisme absolu du quotient affectif,je veux dire une sélection robotisante,des orientations trop hâtives, c'était déjà le cas,il y a des années, mais là, on passe à la vitesse supersonique!!!ce serait bien de lire l'avis des intéressés, profs, instits ?? sinon,toujours impossible de cliquer sur les liens de tazy,aucun rapport,je sais, néanmoins très frustrant!!a

Anonyme a dit…

je suis toujours frappé par l'intelligence lumineuse et communicative d'adjani.sa raison est toujours guidée par l'émotion mais d'une manière tellement construite,cohérente et d'une telle maturité qu'on ne peut qu'en être adminratif.je lis toujours ses interviews avec un plaisir immense.merci à toi de nous les retranscrire ici fidèlement.

djilali.

fredjani a dit…

Que dire ...
pour nous, instits, c'est une année difficile à digérer, on nous a pondu de nouveaux textes dont nous ne voulions pas...
On a de nouveaux horaires, on n'en veut pas !
on a toujours plus de boulot, plus de responsabilités, plus de réunions, mais en m^me temps peu voire pas de formation (j'ai dans ma classe 2 enfants handicapés, mais rien pour les aider , si ce n'est (enfin) une personne, puisque l'an dernier j'étais seul...
On se sent vraiment la dernière roue du carosse...
Voilà c'est dit très brièvement mais pour la 1ere fois de ma carrière, j'enseigne sans passion, dégoûté d'etre un vulgaire pion qu'on manipule ...et ce a chaque changement de gouvernement!
ceci dit, je ne suis pas d'accord avec Isabelle lorsqu'elle déclare que c'est bien quand une personne éduque son enfant à la maison...
J'ai vu ce cas 3 fois, et à chaque fois ca a été un cauchemar pour socialiser ces enfants...incapables de communiquer, prêter, s'aider ... bref la hantise de l'instit !
Alors apprendre chez soi jusqu'à 16 ans ... Je me demande bien quel genre d'individu on peut développer... Je ne suis pas sûr que d'un point de vue relationnel, cela donne de bonnes choses (mais ce n'est que mon avis).
Ca fait plaisir de te lire Djilali ...(a , aussi mais elle le fait a chaque post, alors je vais pas la remercier ...sinon je n'en finirais plus).

Anonyme a dit…

mais,par contre, je peux remercier Djilali que je lis toujours avec grand plaisir, et toi Fred de ton long com,sinon les cours à domicile, je suis mitigée,justifiée par des impondérables,problème de santé,ou bien, et dans d'immenses familles,fratries importantes et vie sociale et partage intense,ce qui est en soi déjà un privilège... Bon, de toute façon,tout commence par la famille,et là les cartes sont biseautées,après ce sont les profs qui en récoltent les fruits en bien ou en mal,bref, il faut des films forts et marquants,car les profs restent les incompris!a

fredjani a dit…

Oui , tout commence par la famille...C'est incroyable de voir 2 enfants arriver dans une classe avec dès le départ autant de différences liées au milieu social (je c, c'est d'un banal ce que je dis...), mais déjà à 5 ans (voire moins), certains ont accès aux chaines cablées; internet, à la biblio du coin là où d'autres n'ont que télé 7 jours (et encore s'il existe !).
Bref autant de différences qu'il est difficile de gommer ou de faire abstraction en classe.
Dorénavant je m'abstiens de demander ce que les enfants ont eu à Noel, pour éviter toute gêne devant toute la classe, car les extrêmes sont réunis...: du plus gâté au plus démuni...
Cependant je ne crois pas que la seule présence d'objets culturels fassent tout...Je suis persuadé que des gens démunis, mais qui vont suivre et s'intéresser à l'éducation de leurs enfants, peuvent contribuer grandement à son éducation et ses performances scolaires....
Ca sera certainement plus dur pour ce dernier...

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