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27 octobre 2014

"Ma vie est une adaptation des Atrides" , Le Monde du 25 /10

La tête légèrement penchée, elle se tient le visage avec ses mains enroulées autour de ses joues. Isabelle Adjani sourit à l’évocation de son passé théâtral, s’enthousiasme à l’idée d’être un jour, peut-être, dirigée par Luc Bondy à l’Odéon et s’inquiète de ne pas trouver les bons mots pour expliquer le présent. Isabelle Adjani répète Kinship, au Théâtre de Paris, aux côtés de Vittoria Scognamiglio et Niels Schneider. Elle renoue avec la scène huit ans après La Dernière Nuit pour Marie Stuart ; pas de costumes d’époque, mais à nouveau un rôle de grande amoureuse sacrifiée...
 
 
 
C’est la première fois que vous jouez dans une pièce contemporaine et que vous incarnez une femme de notre temps. Pourquoi Kinship ?
 
J’aimais l’idée d’une pièce qui soit une création, qui n’ait jamais été jouée, même en Angleterre ou aux Etats-Unis. C’est assez rare. Cette pièce est totalement vierge ; de toute projection, de toute comparaison, de tout souvenir. C‘est à la fois un champ ultra-libre et tellement vaste que c’est périlleux ; car, quand tout est ouvert, il n’y a pas de limites, le plan de bataille est incertain… Ce qui m’a convaincu dans Kinship, ce n’est pas le texte en lui-même – qui a une quotidienneté qui ne fascine pas – mais les intentions qu’il révèle.
 
Qui est « Elle », votre personnage ? Comment la définiriez-vous ?
 
Comme une femme prise, peut-être pour la première fois de son existence, dans la complexité de son féminin. Elle dirige un journal local dans une ville des Etats-Unis. Elle a son petit pouvoir, une vie cadrée, un mari, deux garçons. Tout d’un coup, sa petite vie est traversée par un grand choc : un jeune reporter l’intrigue, elle n’arrive pas à le cerner. Il a une forme d’emprise sur elle qui la détraque émotionnellement et sexuellement. Elle devient l’héroïne, un peu malgré elle, d’un moment tragique dans sa vie, qui se déroule un peu comme dans un film. Dans la vie d’une femme, il y a toujours au moins un moment tragique sur le plan amoureux. Mon personnage se fait prendre au piège d’un sentiment, d’une situation qu’il pensait dominer. Ce qui m’intéresse, c’est le dérapage, cette perte de contrôle.
 
Le théâtre, c’est d’abord votre jeunesse et votre vocation initiale. Que gardez-vous de vos premiers pas sur scène ?
 
Un souvenir incroyablement heureux ; l’impression d’être absolument chez moi, d’être absolument moi. C’était ça ma vie. Je vivais tout avec bonheur et insouciance. J’avais l’impression que ce travail de troupe que j’affectionnais aurait toujours la même légèreté, que ce serait passionnant – comme avec Jean-Paul Roussillon – ou emmerdant – comme avec un vieux de la vieille, Jean Meyer, qui était d’une psychorigidité redoutable ! Tout m’amusait, même ce qui m’agaçait. J’étais aux anges.
 
A 17 ans, vous faites sensation dans L’Ecole des femmes. Cette pièce va bouleverser votre carrière. Le mesuriez-vous à l’époque ?
 
J’avais décidé fougueusement de passer le concours du Conservatoire. J’avais répété une scène de L’Annonce faite à Marie. Ce matin-là, il y avait une grève de métro. Je me suis retrouvée devant un jury très impatient, très en retard, et la clochette a sonné très vite ! J’avais 16 ans, ils ont dû aussi penser que j’étais trop jeune. Pour arriver jusqu’au lieu sacré de la Comédie-Française, ce fut sans passer par son antichambre. C’est la sociétaire Annie Ducaux, avec qui je jouais dansLa Maison de Bernarda Alba à Reims, mise en scène par Robert Hossein, qui a parlé de moi au Français. Jean-Paul Roussillon cherchait une Agnès qu’il prétendait ne pas trouver au Conservatoire. J’ai eu un rendez-vous avec lui, dans un café à côté du Français. J’étais en socquettes blanches, avec mon classique Larousse de L’Ecole des femmes. Il m’a juste demandé de lire. Très vite, j’ai appris qu’il souhaitait m’engager, et ma mère a dû venir signer le contrat à la Comédie-Française. Tout se passait comme par enchantement et, n’ayant aucune expérience, je me disais que ma vie serait toujours guidée par ma bonne étoile.
 
Qui a le plus participé à votre apprentissage ?
 
Jean-Paul Roussillon, définitivement. J’adorais sa direction d’acteur, je comprenais tout. Le travail des autres me paraissait très fade à côté du sien. Il n’a jamais monté de Racine. Il se confinait à Molière. Pourtant, il était racinien dans sa façon de me diriger, de m’apprendre les interruptions, les respirations, l’insistance, les accents toniques. Lorsque ensuite j’ai répété Ondine, je n’étais pas très obéissante avec Raymond Rouleau ! Je continuais insolemment à chercher à la manière de mon mentor.
 
Vous avez dit que vous auriez pu passer votre vie sur scène. Pourquoi si peu de pièces dans votre carrière ?
 
Je n’ai pas de réponse, je ne sais pas. C’est la vie. Si ma vie n’avait pas été elle-même une adaptation contemporaine des Atrides, il est probable que je ne me serais jamais éloignée du théâtre. J’ai eu une vie, à mon insu, si romanesque, les événements ont pris de tels accents dramatiques ou tragiques, que cela m’a accaparée tout entière. C’est comme si je n’avais plus eu le temps d’être ailleurs, d’être au théâtre. Je me suis obligée à des rendez-vous ardus dans ma vie parce que je les considérais comme des devoirs, des impératifs, des priorités ; cela m’a évidemment privée de beaucoup de belles aventures cinématographiques ou théâtrales. Je suis allée, dernièrement, à la Comédie-Française voir Lucrèce Borgia, que j’ai adoré. J’ai dit à Eric Ruf et à Guillaume Gallienne : vous faites ce que je devrais être en train de faire tous les jours. Et j’en pleurais.
 
 
Pourquoi est-ce par le théâtre que vous choisissez de revenir ?
 
Je reviens sûrement à ce qui est le plus proche de qui je suis. Le théâtre fut un surgissement dans ma vie, et le cinéma, une superbe intrusion. Cela s’est imposé… tel un sort irrésistible. Le cinéma, c’est bien ce chant des sirènes. L’île où j’habite, que j’ai quittée pour faire ce grand voyage et à laquelle je reviens pareille à une sœur d’Ulysse, c’est le théâtre. Le désir de jouer, d’interpréter passe avant tout par lui. La scène dite d’agonie dans La Dame aux camélias est un moment de théâtre et en même temps un moment de communion. J’ai reçu des courriers qui souvent parlaient de ce passage-là. Les gens avaient le sentiment d’une reconnaissance de la légitimité de leur douleur. Ce qui m’intéresse, c’est de donner, à certains spectateurs, des formes d’absolu, que ce soit dans l’extrême douleur ou l’extrême bonheur de leur vie.
 
Patrice Chéreau est mort il y a un an. Vous avez dit que vous ne vous consoleriez jamais de ne pas avoir travaillé au théâtre avec lui.
 
Encore une fois, c’est la vie. Je suis peut-être l’actrice la moins carriériste, la moins accro à l’ambition que je connaisse. Comme dans une rencontre amoureuse, il faut que ce soit au bon endroit, au bon moment pour que ça marche. Il suffit de quelques minutes pour manquer une rencontre de toute éternité. Mais je pense que les projets décident parfois eux-mêmes… La Phèdre de Patrice Chéreau est absolument magnifique sans moi. Il n’y a pas de regrets. Mes regrets ne sont pas des plaies ; je les accepte.
 
Quels sont les rôles que vous rêveriez d’interpréter sur scène ?
Le rêve d’un rôle est à concevoir avec un metteur en scène que vous aimez vraiment. J’ai une adoration pour Luc Bondy. Dans mes prochains projets, il y en a plusieurs possibles avec lui. J’ai adoré sesFausses confidences et son Tartuffe. Avec Patrice Chéreau, c’est l’un de ceux que j’admire. J’aimerais jouer, peut-être, l’âme russe, Tourgueniev ou Dostoïevski. Nous sommes en train d’y réfléchir. Je compte beaucoup sur Luc pour me remettre sous emprise théâtrale.
 
Départ de Carmen Maura, changement de metteur en scène... Pourquoi la distribution de Kinship a-t-elle changé ?
 
C’est la vie d’un processus artistique et créatif. Les choses ne se déroulent pas toujours comme on les a imaginées. L’important, c’est l’aboutissement. Certaines pièces décident : oui avec toi, non pas avec toi. Ces changements n’intéresseraient personne si je n’étais pas à l’affiche de la pièce. Les journalistes en sont encore à inventer des choses qui n’existent pas à mon sujet. Avant, cela me faisait pleurer, maintenant, cela me fait rigoler.
 
Comment vivez-vous, en tant que personne publique, notre époque ?
 
Je le vis très mal, comme un abus, une manipulation. Si j’avais su, je n’aurais jamais mis un pied dans cette foire aux vanités. Le droit à l’oubli qui n’est pas accordé aux gens célèbres, c’est juste dégueulasse. Cette politique de la « rançon de la gloire » est devenue immonde. Le luxe, la liberté aujourd’hui, c’est l’anonymat. Combien gagne-t-il ? Mérite-t-il ce qu’il gagne, etc. Je n’aime pas la forme moralisatrice de ces condamnations d’un genre qui fait fureur. En France, tout ce qui marque une différence, que ce soit de classement social ou personnelle, vous est reproché avec vice et fracas. Franchement, vous ne trouvez pas que nous sommes dans une période de société malade ?
 
 
Par Sandrine Blanchard .
 
 
Merci à Benraminos pour les envois ^^
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Kinship une genèse tumultueuse
 
 
« Kinship doit être joué comme un train qui fonce à toute allure vers la catastrophe. » Cette recommandation de l’auteur, l’Américaine Carey Perloff, prend une résonance particulière au regard des nombreux contretemps survenus lors des répétitions. La catastrophe… a été frôlée. Prévue initialement le 15 octobre, la première représentation de cette « création mondiale » a été repoussée à trois reprises pour finalement être fixée au 4 novembre. « C’est un petit accident industriel », admet Stéphane Hillel, directeur du Théâtre de Paris et coproducteur, avec Richard Caillat et Thierry Suc, de l’aventure Kinship, qui signe le retour sur scène d’Isabelle Adjani. « Ces retards augmentent de 30 % le coût financier initial, calcule-t-il, mais il fallait sauver le projet. »
Début octobre, la distribution artistique a été largement remaniée. « Nous avons constaté de grandes divergences quant à l’orientation prise sur scène ; s’ajoutaient à cela des retards et des décors beaucoup trop lourds. Quand ça ne va plus, mieux vaut couper la branche », explique M. Hillel. Conséquences : à la mise en scène, Julien Collet Vlaneck a été remplacé par la costumière Dominique Borg, le dispositif scénique a été confié au fils d’Isabelle Adjani, Barnabé Nuytten, et la création vidéo à Olivier Roset, pour en finir avec la vingtaine de décors précédemment imaginés, s’éloigner du réalisme et faire le choix du dépouillement. Sur le plateau, Vittoria Scognamiglio a pris la succession de Carmen Maura pour l’un des rôles principaux. La comédienne espagnole a préféré jeter l’éponge plutôt que de repartir, dans des délais très courts, dans une tout autre direction artistique.
« POLYVALENTE » « Je n’avais pas imaginé une seconde me retrouver à la mise en scène, ce challenge a quelque chose de grisant », reconnaît Dominique Borg, une amie d’Isabelle Adjani depuis le tournage de Camille Claudel, sur lequel elle était costumière. « Je suis polyvalente », résume-t-elle. Formée au conservatoire d’art dramatique, fidèle des ateliers d’Antoine Vitez, elle a d’abord été comédienne, puis a monté, en 1988, De l’autre côté d’Alice, d’après Lewis Caroll, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, avant de se consacrer à la création de costumes.« Dominique a toujours été faite pour la mise en
scène, mais, sans doute par humilité, elle ne s’était pas complètement lancée. On en parlait depuis longtemps, et puis le jour est arrivé, mais de manière un peu différente de ce que l’on avait imaginé. C’est comme cela, c’est la vie », explique Isabelle Adjani. La comédienne a également le titre de « directrice artistique ». « Dominique me demande ce que je pense de ses options. Cela fait partie de notre manière de communiquer depuis toujours. Je ne peux pas obéir si cela va contre mon évidence organique. »
Pour Stéphane Hillel, le choix de Dominique Borg relève « du hasard des choses ». « Nous avions évoqué plein de possibilités, mais elle était sur le projet depuis le début et passionnée par cette pièce ; la retenir était l’idée la plus cohérente et la plus immédiate », dit-il. Isabelle Adjani s’est aussi, dès le départ, adjoint les conseils de Franck Joucla Castillo pour la dramaturgie. Professeur de philosophie et proche de la comédienne, c’est la première fois qu’il se retrouve dans ce rôle de conseiller théâtral.
« Rien ne relève du caprice, mais de l’exigence ; ces changements sont malheureux, mais le théâtre est aussi fait de ça. Il est normal qu’une actrice de ce niveau-là souhaite être à la hauteur de l’attente qui accompagne son retour. Il n’y a jamais eu un mot plus haut que l’autre », insiste Stéphane Hillel. Désormais, tout serait « reparti sur de bons rails ».

Par Sandrine Blanchard

Merci à Cyril pour les envois ^^
 

4 commentaires:

Anonyme a dit…

MERCI!
TAZ

Anonyme a dit…

Merci Fred, Cyril...
JLUC31

Unknown a dit…

Merci, Fred!
Aey

Anonyme a dit…

Un grand merci pour la publication de cet article. L'exaltation du moment ne s'intéresse qu'au théâtre. Je ne jeterais pas le cinéma aux orties pour autant, 5 César, 2 nominations aux Oscar, des réalisateurs emblématiques au palmarès. Mais bon. Prenons cette annonce de jeu théâtral comme une bonne nouvelle, et donnons nous rendez-vous l'année prochaine. D'ici là voyons Kinship. Lama Bruno

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