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25 août 2012

"Jamais facile d'être actrice et amoureuse en même temps " -Paris Match n°3300- Màj

C'est une femme éblouissante et sexy qui pose en dentelles délicates et bijoux Poiray. Très différente du personnage qu'elle incarne pour le réalisateur Alexandre Astier : une héritière aux longs cheveux argentés, amnésique. Elle a dans ce rôle une drôlerie et un franc-parler qui lui ressemblent. changement de registre bientôt, pour l'américain Abel Ferrara. aux côtés de Gérard Deperdieu en DSK, elle sera Anne Sinclair. L'affaire DSK, c'est le choc annoncé pour un tournage à la rentrée. Et l'occasion d'explorer , avec l'écrivain Virginie Despentes, les multiples voix de la violence ordinaire. Celle à laquelle elle n'a pas peur de se confronter.






 
 

Dans ce décor irréel d'un paris complètement désert, Isabelle Adjani traverse la rue, son portable encore à l'oreille. Quand on rencontre une actrice ou un acteur "en vrai", la plupart du temps , ce qui est troublant c'est qu'il ou elle ne ressemble pas du tout à l'image qu'on s'en faisait, et qui était si familière. En vrai, les comédiens sont souvent plus petits, ou moins pimpants, disons qu'ils sont moins éclairés et que souvent ça change tout. Isabelle Adjani, au contraire, me fait l'effet, en chair et en os, d'être encore plus Isabelle Adjani que lorsque je la vois sur un écran ou en photo dans les journaux. Nous remontons le boulevard. Elle me parle de son fils qui est là pour l'été. Toutes les filles de ma génération étaient des descendantes d'Isabelle Adjani. Il y avait d'autres comédiennes, il y avaient des chanteuses, il n'y avait pas qu'elle. mais c'est à Isabelle Adjani que les femmes ont spontanément voulu ressembler. Pour la passion, pour la liberté, pour l'intelligence, pour tout ce qui semblait possible , à l'époque. C'était avant que Madonna ne change la donne en bifurquant vers une version bodybuidée d'une Marylin ultra communicante...
J'ai d'autant plus l'impression de marcher dans un rêve calme que le temps, comme la légende le veut, semble effectivement avoir lâché l'affaire sur Isabelle Adjani.

 
Paris Match. Vous ne pensiez pas être comédienne toute votre vie ?
Isabelle Adjani.
Ah non ! Quand j’étais très jeune, j’avais déjà écrit mon histoire, c’était clair : j’allais faire film sur film, je ne travaillerais qu’avec de très grands metteurs en scène, je ne tournerais que des films marquants, qui auraient un impact sur l’histoire du cinéma, puisque François Truffaut avait déclaré : “La France est trop petite pour elle...” Puis, évidemment, j’arrêterais avant d’avoir 40 ans, parce que dans la vie il y avait d’autres choses à faire, et j’arrêterais sans regret, parce que j’aurais rempli mon contrat. Bien sûr, rien ne s’est tout à fait passé comme je l’avais prévu ! Il y a eu beaucoup d’interruptions, des histoires de famille, de santé, des histoires d’amour, un enfant, un autre, et puis… et puis tout ce qui ne va pas autour de tout ça, tout ce qui empêche de travailler sans qu’on s’y attende. Si une histoire d’amour était fragile, j’étais convaincue qu’il ne fallait surtout pas aller faire l’actrice, que ça aurait été l’échec amoureux assuré, que le couple allait devenir bancal... C’était le côté “si je ne suis pas là, il risque d’aller voir ailleurs”, ou “il faut que je lui montre à quel point notre ­relation compte pour moi”. Mais ça ne marche pas. A chaque fois que j’ai voulu faire comme l’autre, là, celle qui n’est pas actrice, la fille normale, ça n’a pas fonctionné. Ça n’intéresse personne, ça n’intéresse aucun homme. Etre aimée pour soi-même, c’est une connerie, parce que “soi-même”, c’est quoi ? C’est tout ce qu’on est, tout ce qu’on fait, tout ce qu’on représente.
Et vous pensez que parfois les hommes se posent les mêmes questions, entre leur carrière et leur vie privée ?
[Rires.] C’est curieux, ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Je n’en ai jamais croisé un seul qui soit là, à se gratter la tête, à se dire : “Oh, mon Dieu, quand même, j’ai raté quelque chose ou je suis en train de passer à côté de l’essentiel...” C’est drôle, mais non. Ou alors ça arrive, mais présenté sous la forme de “je ne peux pas faire autrement parce que c’est ma femme qui veut que”, à la limite, ou une maman qui va très mal et qui a un ascendant sur son fils comique à la Woody Allen… [Rires.] Je crois que c’est plus simple, en général, pour les hommes, qui savent être lâches par survie. Les ­acteurs partent tourner comme ils partiraient à la chasse, ils partent loin de la maison et ils laissent tout le monde se ­débrouiller. Mais pour nous, enfin moi, c’est la forme humaine de la vie qui est privilégiée, pas la forme fictionnelle.
Il vous est arrivé de regretter d’avoir sacrifié un film pour une histoire de couple ?
Jamais. Mais je ne sais pas au juste pourquoi les gens continuent à essayer de se mettre en couple. C’est vrai, le problème ne vient pas de ce que ça se termine mal, mais de ce qu’on s’embarque avec son futur ennemi ! C’est génial, comme idée, non ? Personne ne fait de cadeau à personne. Tout le monde veut tuer tout le monde ! Et ça se passe rarement autrement. C’est valable sur le plan ­amoureux, autant que sur le plan de l’amitié. Un jour, on se retrouve nez à nez avec quelqu’un qu’on ne connaissait absolument pas. Capable du pire. Sans aucune fidélité à ce qui a été vécu d’intrahissable, croyait-on. Quelqu’un qui a été extrêmement proche se transforme en pur inconnu. C’est monstrueux. Par peur ? Par lâcheté ? Par intérêt ? La survie du prédateur peut devenir meurtrière, comme s’il n’y avait plus d’autre choix, comme si sa panique dominatrice s’était saisie de tout. C’est une forme de cannibalisme. Celui-là bouffe l’autre pour s’en sortir, lui. Virtuellement, il le dévore.
Comment diriez-vous que le cinéma s’est transformé ces dernières années ?
Si j’avais 17 ans, je le répète, jamais je ne ferais ce ­métier, j’en serais incapable. Ça manque de folie, ça manque de magie. Pour moi, le cinéma était une façon de célébrer la différence. Les décalages, les faiblesses, on les sentait, à travers de toutes petites choses, une photo d’Elizabeth Taylor dans un moment de rage, de désespoir ou d’abandon. Elle seule pouvait avoir ces expressions-là. On ne pouvait la confondre avec sa voisine. L’actrice ou l’acteur était quelqu’un d’inoubliable. La tendance est aux actrices lisses. Toutes plus ou moins pareilles, toutes très justes... mais presque interchangeables.

"une sorte ­d’appétit pour la bête aux abois"

Vous êtes une des rares à parler aussi ouvertement de la brutalité du rapport de l’artiste aux médias…
Aujourd’hui, les acteurs et surtout les actrices se prêtent aux codes d’une maltraitance d’un nouveau genre, parce qu’ils ont peur, s’ils refusent de faire tout ce qu’on leur ­demande ou s’ils s’en plaignent, de passer pour antipathiques... ­Aujourd’hui, on ne dit plus de quelqu’un qu’il est ­original, on dit qu’il est ingérable. On est dans une époque où l’on supporte bien moins qu’avant le caractère un peu excentrique de notre profession. Actrices, nous sommes supposées être aussi des femmes d’affaires, de très bonnes communicatrices. Nous sommes supposées jouer le jeu, tous les jeux, des jeux qui n’existaient pas du tout quand j’ai commencé... Et, en même temps, il y a toujours une sorte ­d’appétit pour la bête aux abois. Incarnée nationalement, malgré elle, par Romy Schneider. Une envie de la dépecer, à vif, de lui ouvrir le ventre et de continuer à sortir ce qu’il y a de plus viscéralement secret ou de plus meurtri, pour transformer ces trouvailles en objets de culte.
On n’apprécie guère que les acteurs se plaignent du traitement qui leur est imposé…
Quand j’entends certains acteurs dire : “C’est génial, c’est très excitant, on me paie pour être un autre”, franchement, je rigole. Oui, c’est un travail passionnant, mais qui ne laisse pas indemne. Il y a toujours une phase de révélation-construction, on vénère, on adore, on construit le mythe, et il y a toujours, ­ensuite, une phase où il faut démolir, pour dire aux gens : “Regardez, vous êtes pareils, elle aussi, elle est à terre par moments”, et ensuite faire ressusciter. Mais maintenant les deux se passent en même temps. Vénération-destruction, boum, boum. Il y a de quoi être un peu sonnée... C’est comme s’il fallait savoir se passer de l’hyper sensibilité requise pour être actrice... Et je pense qu’on ne devient pas actrice parce que la vie fut simple à vivre, mais justement parce que quelque chose n’a pas dû aller de soi dans l’enfance, qu’il y a eu blessure, avec la plaie restée ouverte, même. C’est ça, un truc qui s’est mal passé, et il reste une fracture, visible ou non, peu importe.Point final
 
Est-ce que certains réalisteurs vous font peur ? Par exemple, avez-vous des réticences à tourner avec Abel Ferrara ?
Pas du tout, mais pas du tout ... Abel Ferrara n'a aucun maniérisme socialisé. Il est dans le luxe d'être entièrement lui-même . A la fois complètement sensible et complètement brutal. Rien ne l'empêche de vous regarder ou de réagir autrement que dans sa sincérité. Du coup,ça ne peut pas gêner ou menacer, puisque c'est sincère. Il a une écoute tellement attentive, il donne l'impression qu'il vous emmènera très loin. Ca donne envie, mais ça ne fait pas peur, non, pas du tout. La chose qui me ferait peur, aujourd'hui, c'est de devoir supporter ce que j'ai supporté quand j'étais très jeune, et que j'ai ensuite soigneusement évité. La manipulation. Possession, par exemple, je ne me souviens même pas comment j'ai fait. Il a pourtant fallu que ça ne me soit pas tout à fait inconnu, que ça me dise quelque chose de mon enfance, pour que je puisse supporter ça... J'ai déjà refusé des films pour ne pas me retrouver dans cette situation. Je sais qu'à la fin le réalisateur s'en sortira toujours et moi non .
Est-ce que , dans un projet comme celui-ci, la présence de Gérard Depardieu est rassurante ? Vous avez l'impression qu'il vous protègerait , si besoin était ?
Bien sûr que non ! Je suis beaucoup plus forte que Gérard ! Rires. Il le sait ... C'est moi qui protège, sur un plateau . Je ne suis pas du tout- et je le regretet- une prédatrice ou une opportuniste. J'ai besoin de protéger.Ca vient de l'enfance, ça aussi. Quand les enfants ont dû protéger leurs parents de tout ce qui les mettait en danger,ça reste pour toujours.
Et vous regrettez de ne pas être une prédatrice ?
La vie est quand même plus facile quand on a le sabre en bandoulière, oui ... Je n'ai jamais eu aucune espèce de jugement sur les filles, les femmes qui sont dans un système de survie assassin. Rien , sur leur passage, ne sera épargné. Je les regarde faire, je me dis oui, c'est du grand art brut ![ Rires]. Je n'en suis pas capable, mais je n'ai aucune "bien-pensance" vis-à-vis de ça. Je me marre toujours quand j'entends : "Il n'y a que les salopes qui y arrivent." Je me dis : "Eh bien oui ! c'est normal !" La seule chose dont on puisse se plaindre, c'est de ne pas être, nous, suffisamment salopes pour nous défendre !
Pensez-vous en tant que femmes nous avons particulièrement besoin de nous défendre ?
Je crois que dans le monde entier, les femmes sont en danger, qu'elles n'ont jamais été plus en danger. Elles sont dans un piège. Ces mômes qui respectent leur mère comme si leur mère, n'était pas une femme... C'est l'Immaculée Conception, c'est la Vierge Marie, quelque part. et les femmes seraient toutes des tentatrices - on se voile la face de façon à ne pas avoir le regard attiré... les filles sont des "trouble-être".Des diables, en fin de compte. On met ça sur le dos des religions, et on décline, on décline...
Pendant le tournage de "La journée de la jupe", vous avez probablement dû réfléchir à ce qui rendait les jeunes générations différentes de celles qui les précédaient ?
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cette génération a quand même été nourrie de films pornos - leurs découverte de l'amour, du sexe, de l'affect, du désir, presque tout est passé par là . Et il y a une violence là-dedans...Moi , j'aimais bien l'hypocrisie qui consistait à planquer les revues pornos, en hauteur, au fond de la boutique... mais même dans les clips vidéo- au secours ! les mecs sont assis, ils sont couverts de fric, de bijoux, fourrure, ils ont le cul des filles à hauteur des yeux... et c'est dix pour le prix d'une. Elles n'ont pas un mot à dire, elles sont des accesssoires ulra décoratifs. "J'ai du fric, donc je mets ce que je veux dans ma piscine", c'est ça le message qu'on transmet aux jeunes ! Je ne suis pas en train de condamner, pas du tout. Mais aujourd'hui on peut se dire qu' à partir de 8 ans un enfant vous est déjà retiré. Vous pouvez considérer qu'il n'est plus avec  vous. Il est happé par les réseaux sociaux, c'est fini, il est pris. Les enfants sont source de revenus, ce sont de grands consommateurs, des proies faciles... Ils sont traités comme des clients. Je trouve ça bouleversant.
Et vous avez l'impression qu'il n'y a rien à faire pour les protéger ?
On nous dit : "Ah ! mais il n'y a pas de problème, il suffit d'accompagner votre enfant. " Mais c'est quoi cette blague ? Qui a le temps ? Qui est assis chaque minute à côté de son enfant pour l'aider à décrypter ce qu'on lui balance dans le cerveau ? C'est comme si la scène primitive devenait une agression constante. ce n'est plus en ouvrant la porte de la chambre des parents au mauvais moment, c'est juste là, imposé, à longueur de temps. Etalé, et vas-y, débrouille-toi. Les enfants sont abandonnés. Complètement. Bons ou mauvais parents, ce n'est pas le problème. j'ai un regard très noir sur tout ça. Noir, noir,noir. Même le relais de la cellule familale, les grands-mères, les grands-pères, tout ça...Je vois, autour de moi, des femmes qui ont élevé leurs enfants et veulent s'offrir une deuxième jeunesse. Elles disent : "Je vous ai donné tant d'années de ma vie, mes chéris, maintenant débrouillez-vous. Je ne ferai pas la gentille mémé." Il y a bien les mouvements d'éducation qui prônent la sévérité, comme cette Sino-Américaine un peu cinglée qui a son heure de gloire aux Etats -Unis... Avant, on bandait les pieds des petites filles; maintenant, elle entreprend de bander le tout- les mômes n'ont plus le droit de bouger, ils sont assignés à résidence, avec leurs leçons d'orgue virtuose, de philo karmique, leurs cours d'astronomie, leurs heures de danses ethniques, leur leçons de machin... Je ne me fais aucune illusion : on est tous devenus complètement cinglés. De l'air ! Ouvrons les fenêtres !
Interview Virginie Despentes 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

SUPERBE !!
jeanluc31

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