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28 octobre 2011

Entretien avec Franck Henry par le site comme au cinéma


Une interview du réalisateur qui évoque pas mal Isabelle...




Comment êtes-vous venu au cinéma ? Par des chemins... détournés ! Je suis tombé dans la délinquance très jeune. Multirécidiviste, j’ai 51 ans et j’ai fait plus de 20 ans de prison... Jamais je n’avais imaginé qu’un jour j’écrirais des bouquins, des scénarios et encore moins que je réaliserais un film. Et ça même il y a sept ans de ça, quand je suis sorti de taule... En fait, l’envie de faire un film m’est venue en collaborant à des scénarios qui m’ont permis d’aller sur des tournages, notamment ceux d’Olivier Marchal ou de mon pote Cédric Klapisch... Grâce à eux, je me suis rendu compte d’une évidence : réalisateur c’est un point de vue et pas autre chose. Je suis quelqu’un de cinéphile au-delà du simple côté artistique du cinéma. L’aspect commercial, technique, industriel du cinéma, tout m’intéresse. J’ai aussi réalisé un court métrage avec Simon Abkarian. Je sais aussi quelle galère c’est de monter un film, l’argent que ça coûte, mais ce que je cherche avant tout c’est divertir !

Vous avez, avant de passer à la réalisation, publié trois romans et écrit des scénarios.
À la suite de la parution de mes livres, on est venu me chercher en prison et on m’a proposé d’écrire un long métrage qui n’a pas pu se monter. Parallèlement, on m’a aussi proposé d’écrire des épisodes de séries policières, dont Braquo, peut-être parce que je racontais des choses avec un point de vue différent des critères habituels... Quand j’écrivais en taule, j’écrivais 12 heures par jour, et je n’étais plus en prison, ça me vidait la tête !

Vous parlez de cinéphilie, comment l’avez-vous acquise ?
En 20 ans de placard ! Et surtout grâce à la télé - via Canal + surtout - qui est arrivée tard, en 86, je regardais tout... Plus tard, nous les détenus on a eu le droit d’avoir des ordinateurs donc j’ai pu voir des DVD, affiner mes choix. Je regardais toutes sortes de films... Avant la télé et les DVD, le cinéma je le faisais dans ma tête en lisant un livre par jour. D’ailleurs, dans mon film Éric Cantona en bibliothécaire de prison c’est «autobiographique» puisque lors de ma dernière peine c’est la charge que j’occupais...

L’heure venue, vous n’avez pas été effrayé par l’aspect technique surtout pour un film d’action...
Faire un film c’est avoir 150 personnes derrière soi et devenir le capitaine du navire. Ça je ne le mesurais pas complètement, mais ça ne m’a pas affolé outre mesure. On ne va pas se leurrer, on a fait des films avec des anciens flics, et ça a marché, alors pourquoi pas faire un film avec un ancien gangster ! Mais moi je n’ai pas voulu faire un documentaire sur le banditisme et encore moins un film sur la police ! J’ai voulu raconter une histoire, une fiction. Bien sûr je viens de ce milieu-là, mes voyous forcément ils sont justes, parce que je raconte un monde que j’ai fréquenté longtemps. Dans De Force on a un voyou en prison, Éric Cantona, qui a l’intention de passer à autre chose. Je sais ce que c’est. J’ai été en taule, j’ai voulu et suis parvenu à passer à autre chose, donc ce personnage-là je sais le raconter. Ensuite on a un flic, patronne d’une grosse brigade, Isabelle Adjani. Je sais aussi ce que c’est, d’autant qu’aujourd’hui je suis ami avec le patron d’une grosse brigade. On a aussi une bande de tapeurs de fourgon : je l’ai fait, donc cette musique-là je la connais aussi. Il y a le fils du commandant de police, qui est en train de sombrer dans la délinquance moi j’ai sombré à 15 ans... Donc j’ai écrit une fiction autour de ça en essayant de la faire sonner le plus juste possible.

Votre volonté était de dépasser l’étiquette polar, film noir...
Oui ! C’est une histoire d’hommes et de femmes embarqués dans une spirale infernale. Sur fond d’une justice au service du pouvoir et d’une police au service de la justice. Le seul dans l’histoire qui ait une vraie liberté et que je ne «tue» pas c’est Jimmy Weiss (Simon Abkarian). C’est le seul personnage qui est droit et correct, même si c’est un voyou sans état d’âme. Cantona on peut lui trouver toutes les excuses qu’on veut mais bon c’est un indic ! Et Isabelle encore moins, elle le sait d’ailleurs puisqu’elle dit : «Ce que je fais ça ne me plaît pas».

Dès l’écriture vous aviez l’idée d’un casting idéal ?
Non. Le seul personnage dont je savais à qui je confierais le rôle c’est celui de Simon Abkarian parce que c’est mon ami dans la vie. Le scénario écrit, on est passé par tout le processus de recherche d’acteurs, jusqu’à ce que j’ai cette idée d’Isabelle Adjani en commandant. Tout en faisant remarquer – ce n’est pas si souvent dans le cinéma français au niveau des polars – que j’ai deux personnages féminins forts avec celui de la juge que joue Anne Consigny.
J’ai fait un peu différent par rapport aux histoires de mecs avec des coups de poings qu’on trouve d’habitude dans les polars. Pendant la préparation de De Force, il commençait a y avoir du buzz sur La Journée De La Jupe avec des extraits sur le net. Et là j’ai vu Isabelle Adjani mettre un coup de tête à un môme et je me suis dis : mon commandant c’est elle ! Des amis communs lui ont donné mon scénario sans omettre de mentionner mon pédigrée. Elle l’a lu et m’a rappelé aussitôt. «Bravo, m’a-t-elle dit. Clara Damico c’est moi, je vais tout faire pour vous convaincre que c’est moi et si ce n’est pas moi, merci pour la lecture !». On s’est rencontrés. On a parlé. J’avais trouvé, comment dire, une gonzesse, une vraie gonzesse, une personne qui écoute, qui se fout d’Isabelle Adjani, qui se fout de ses César. Il y a eu tout de suite un rapport humain évident et une formidable complicité. Une rencontre qui comptera dans ma vie. Et le tournage a été le paradis sur terre ! Dans la première partie du film je voulais montrer une femme avec ses problèmes de vie normale sauf qu’elle est flic et là on n’est plus dans L’histoire D’adÈle H. On s’en fout aussi qu’elle soit flic, ce qui m’intéresse chez Clara, c’est tout ce qu’elle fait par amour pour son fils y compris des conneries... Parce que ce qu’elle fait c’est une connerie. Là on retrouve la tragédienne...

Et le choix d'Eric Cantona ?
Une évidence aussi. Je pense qu’on ne l’a jamais vu comme cela à l’écran.
J’essaye de garder toute l’objectivité possible, étant le plus mauvais spectateur de mon film, mais Éric Cantona donne ici l’impression de ne pas jouer, il est, il incarne ce truand Makarov. Et ça, ça ne se voit pas souvent. La scène où il est à tomber par terre c’est à la fin quand il va voir Isabelle dans son commissariat, une prise et bam ! Il est là, juste, émouvant, fort. Il me reste à changer d’axe, champ contre champ avec Isabelle, et là aussi une prise ! Quelle aventure ! Quelle leçon ! Quel plaisir d’avoir affaire à des acteurs de cette trempe !  Un des plaisirs du film vient aussi des dialogues justes, percutants, drôles aussi parfois... Il ne faut pas tomber dans du sous Michel Audiard. J’ai trop de respect pour lui. Il faut sonner juste. Sans parler non plus tout à fait comme les flics ou les truands parce que ça deviendrait vite abscons pour le grand public. Il faut garder des mots à nous, des expressions clés qui reflètent bien les personnages. La grande différence entre un flic et un voyou, c’est qu’un voyou il est voyou le temps de taper ses affaires, quand il a fait son casse et qu’il a son blé, il rentre chez lui, il retrouve sa femme, ses gosses, il fait tourner son business et pense à partir en vacances, à flamber, à faire le con et tout, il redevient un homme somme toute très banal ! Un flic c’est différent. D’ailleurs pourquoi ce sont eux qui gagnent tout le temps ? Parce que le rapport de force n’est pas le même. Flic c’est un métier, donc ça implique une notion de responsabilité, souvent une notion philosophique, psychologique de «je sers l’État, je défends l’État, je défends la société dans laquelle je vis». Le flic, il est flic tout le temps ! Moi quand je montais sur une affaire, les flics je n’y pensais que le temps du braquage ! Ce qui m’intéressait aussi chez ces voyous-là c’était de montrer leur part d’insouciance, au mauvais sens du terme, parce que pour accepter d’aller risquer sa vie en face de convoyeurs de fonds déjà il faut être maboul et accepter de risquer la vie de l’autre c’est encore plus grave !

Les scènes d’action ont été difficiles à régler ?
Oh que oui ! L’enfer c’est qu’on a tourné les scènes de braquage de l’avion porteur par -15° ! Pendant trois jours on a gelé sur l’aéroport d’Albert, dans la Somme. Et le quatrième, il est tombé 10 cm de neige sur des hectares, on a dû tourner à l’intérieur du zingue et là aussi on avait -15° ! C’était dantesque, infernal, et en même temps comme nous avions froid, on était obligés de se serrer au sens propre et figuré, ce qui a fait la cohésion de toute l’équipe, du groupe. On a tourné il y a un an, eh bien on continue tous de se voir...

Ne craignez-vous pas de devenir le symbole de la réinsertion réussie ?
Non. Tout simplement parce que je n’ai jamais été inséré (rires). Éventuellement je suis en train de m’insérer et ensuite mon personnage n’a pas valeur d’exemple parce que la réinsertion ce n’est pas ça. La réinsertion c’est des boulots minables, ce n’est pas écrire des bouquins, bosser à la télé, faire un film... Il ne faut pas faire rêver les gens avec ça ! Je suis le plus mal placé pour parler de la prison. Je suis le symbole de rien du tout parce que j’ai un regard sur la prison qui n’est pas bon. Dans une société, la prison sert à mettre à l’écart momentanément des mecs qui font chier à différents degrés, à différents niveaux. Faire chier c’est voler, violer, tuer... Mais la prison maintenant rend fou ! Ma chance est d’avoir fait de la prison jeune avec un arsenal judiciaire qui permettait alors quand on passait un examen scolaire d’avoir 3 mois de remise de peine en plus. En taule j’ai ainsi passé mon certificat d’études, mon BEPC, mon BAC et je suis devenu Bac + 6 quoi ! Mais ça ne m’a pas empêché de récidiver... Je suis multirécidiviste ! En fait, avec la vie que j’ai vécue, je m’aperçois que ce qui m’intéresse avant tout c’est l’humain ! Qu’il soit bandit, flic ou maton, c’est l’humain ! Avec ses faiblesses, sa beauté, ses galères.

Avez-vous vu ou revu certains films avant le tournage ?
J’ai regardé surtout des films de Don Siegel qui est un réalisateur que j’apprécie particulièrement pour l’aspect justement minimaliste et sans tape à l’œil de sa mise en scène. Dans le cinéma français je suis aussi plus sensible  à un mode un peu lent dont le meilleur représentant est Jean-Pierre Melville. J’ai été vers eux en toute modestie et de temps en temps je me suis amusé à faire des plans à la Lelouch.

Le film a-t-il été difficile à monter financièrement ?
Je dois tout à Franck Chorot. C’est le mec qui m’a dit oui d’office. Sinon on n’a pas eu le CNC, ni l’Avance sur recettes, ni de Crédit d’impôt, ni de chaîne hertzienne, on n’a rien eu ! Sauf le soutien de Canal +. Un mec qui a fait 20 ans de placard et qui prétend faire un film, c’est très mal vu... C’est Frank Chorot qui est allé discuter avec les Belges et les Luxembourgeois pour compléter le financement.

Le 26 octobre sort votre film, comment vivez-vous l’attente ?
Moi je ne matérialise pas ça autrement que comme un compte à rebours... Si on me demande «Comment tu vas ?», je réponds : «60, 52, 30 jours». Je suis mort de peur évidemment parce que la vraie sanction c’est celle du public. J’ai fait ce film pour le public.
Aujourd’hui, j’essaye de m’intégrer au mieux dans une société qui m’a permis de faire un film avec Isabelle Adjani et Éric Cantona. Pour un ancien gangster, trouver sa place dans le monde en n’ayant pas d’autre prétention que de divertir les gens c’est pas mal.

Parlez-nous de la musique dans de force ?
J’y ai participé avec le compositeur luxembourgeois, étant musicien, guitariste, compositeur, parolier, je fabrique aussi des guitares car je suis aussi luthier. Ayant Isabelle Adjani sous la main, j’ai tenté le coup, je lui ai dit : «Tu as entendu le thème du film ? Tu l’aimes bien ? Ce ne serait pas mal si tu chantais une chanson au générique de fin».
Elle m’a dit oui immédiatement. J’ai écrit le texte, elle est venue quelques jours après en studio, elle m’a plié ça en une demie heure et puis voilà. La chanson s’appelle «Tomber». C’est ce qui lui arrive à la fin, tomber, se relever... Il y a l’idée de se relever, se relever jamais, se relever pourquoi, se relever peut- être, se relever sans doute...

Merci à Martine pour le lien.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Beau parcours que celui de Franck Henry ! Fibu

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