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13 janvier 2011

Queen Isabelle

Une interview ancienne (décembre 94), réalisée lors de la sortie du film de Patrice Chéreau pour la reine Margot aux USA. Isabelle ne manque pas de réparties et anticipe même sur les futurs prix à venir à Cannes...




Trois mois, six mois, un an après la sortie d'un film, quel metteur en scène ne rêve-t-il pas de «pétrir» à nouveau sa pellicule? Patrice Chéreau, lui, revendique ce plaisir: «C'est tout moi, ça. Ne rien faire comme les autres!» En pratiquant des coupes en forme de garrots là où le sang coulait, en revalorisant l'amour qui unit La Mole et Margot, il apporte une force de frappe nouvelle à son oeuvre. Le 9 décembre, la firme Miramax lançait «Queen Margot» à New York. Une version allégée de vingt minutes. Des explications «historiques» entre les génériques. Miramax prend les devants: «Ce sont les coupes de Patrice. Nous ne lui avons rien imposé. Dites-le bien!» C'est fait. Si le film de Luc Besson («Léon») est perçu, là-bas, comme un «amas de crétineries», celui de Chéreau est couvert de louanges. Même si la violence en a étranglé plus d'un. «Mes figurants sont toujours vivants, précisera le réalisateur pour CNN. En France, on ne tue pas les figurants.» Le 16 décembre, cette «version américaine» ressort dans 20 villes de France. Avec une Isabelle Adjani auréolée d'une critique ahurissante: le «Regal Adjani» («Newsweek»); une «Lillian Gish jeune, doublée d'une bombe sexuelle» («USA Today»); la «French Garbo» («New York Times»). Bref, une icône. Une icône qui a de la voix...




L'EXPRESS: A Cannes, même quand l'accueil est chaleureux - et là, ce fut le cas - vous donnez souvent l'impression d'être une bergère qui débarque chez les cannibales...

ISABELLE ADJANI: Aux Etats-Unis, le vocabulaire parle en soi: «To promote a movie». Promouvoir son travail. Mais la langue française, elle, introduit une nuance: «Défendre son film». Ici, il faut démontrer son innocence. Il y a parfois des questions derrière les questions. Des mots qui font tic-tac. Des colis piégés.



Par exemple?

En général, ça commence en douceur: «Un film tous les quatre ans? Dites, Isabelle, pourquoi vous faites-vous si rare?...» Sous-titre: «Hé, la faignasse, tu roupilles? Qu'est-ce que tu fabriques?!...» Ce serait plutôt drôle, d'ailleurs, si on me le formulait tel quel. En fait, quand j'investis trois ans, quatre ans dans un projet qui me touche, m'émerveille, me dévore, il me reste juste assez d'espace, de temps, de concentration pour ma vie privée. C'est comme ça. Aussi bête que chou. Mon rythme biologique est ainsi fait.

Aux Etats-Unis, un tel rythme biologique, ce serait bien vu?

Là-bas, d'un acteur qui ne tourne pas on dit: «He's resting.» Il se repose. Qui dit repos dit convalescence. Ce serait donc une maladie, de ne pas travailler? De lui l'industrie attend qu'il enchaîne rôle sur rôle («back to back»). Les studios - et a priori le public - lui ordonnent de maintenir sa visibilité. La menace est réelle: celui qui ne travaille pas n'est plus un acteur. En France, notre sensibilité nous protège de cet oubli programmé par le pouvoir de l'argent. De cette aisance à gommer un être qui ne s'aligne pas sur la norme. Quels que soient ses problèmes d'ego, ses inimitiés, sa renommée, qu'il tourne peu, ou pas, ou plus du tout, un acteur, ici, fait et fera toujours partie de la famille des acteurs. Chez nous, même d'un figurant qui se bat pour décrocher une silhouette on dira: «Il est des nôtres!» En France, le syndrome «Entrée des artistes» demeure très fort. A ce titre, je suis fière d'être française...

Vous parliez de phrases piégées...


Parfois, devant moi, certains comptent à voix haute: «15, 16, 17, 18 films... Quel dommage, Isabelle: votre filmographie est si maigre!...» Là encore, je me raccroche au sketch de Fernand Raynaud: «Je m'excuse de vous demander pardon...»

Mais si on veut laisser un petit quelque chose derrière soi?

Quelle vanité! Mieux vaut un doux parfum qu'un joli score. Les acteurs que l'on aime ont-ils - tous - signé 92 films? Et Louis Jouvet? Et Louise Brooks? D'elle, mis à part «Loulou», qui peut m'en citer combien?... Ce sont des visages dont le souvenir me réchauffe. La filmo, c'est le compteur à gaz. Mais la chaleur, elle, vient d'ailleurs.

Pendant le festival, donc, vous aviez l'impression de zigzaguer entre les mines flottantes?

Je vais vous faire l'avant et l'après. Avant le palmarès: «Alors, Isabelle, vous ne tournez que pour Cannes et la médaille en chocolat?» Après le palmarès: «Dites, Isabelle, Virna Lisi et son prix d'interprétation, vous ne trouvez pas ça un peu raide sur les bords, des fois?» Là, je suis ébahie! Sur des trucs pareils, je balance entre le fou rire et la bouche bée. Dieu sait que, à Cannes, je me suis réjouie de ne pas dépasser d'un cheveu! De m'habiller en passe-muraille. De me contenter d'un petit coucou au public...

On a le sentiment que vous aviez la terreur d'entendre: «Tiens, voilà la diva, et il n'y en a que pour elle!»

Nous n'étions pas deux à grimper les marches du palais: nous étions 18!... Le thème de «La Reine Margot», c'est la charge de troupeaux qui s'affrontent, qui s'encornent, qui s'éventrent. Mais la réalité du film, c'est l'aventure d'une troupe au travail. Je ne suis pas experte en football, mais il me semble que, lorsque l'un des 11 joueurs marque un but, les 10 autres, les remplaçants et l'entraîneur sautent de joie et dansent la rumba! Que dire de plus? Encore que... Moi, si on m'avait demandé mon avis, j'aurais réclamé 18 prix! 18 buts! Je vois bien «L'Equipe» titrer: «Reine Margot- reste du monde: 18 à 0!»


Le soir de la première de «Queen Margot» à New York, Harvey Weinstein - boss de Miramax - a balancé à la cantonade: «J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle...»

... «La mauvaise: Isabelle Adjani n'est pas là, elle est enceinte de 5 mois et le docteur lui impose le repos. La bonne: j'ai déjà le bébé sous contrat!» J'avoue que ça m'a fait rigoler...

interview : Yves Stavridès, publié le 15/12/1994 pour L'EXPRESS




2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle belle interview. Il y a une liberté...et on la sent heureuse, libre de ses hésitations et fière de ses errements. Simplement à l' écoute de ses vrais désirs. La vie s' est chargée, comme à nous tous, de lui donner quelques regrets, regrets qu' elle n' avait pas à l' époque puisqu' en pleine construction. Content de voir que ces évènements de vie difficiles ne l' ont pas arrêtée. Elle est en marche et nous donne beaucoup à rêver et à partager. Chouette.

fredjani a dit…

Je ne sais pas si elle a des regrets... A priori non, ou bien très peu formulés dans ses interviews actuelles . Ou bien avez vous-voulu dire , qu'elle voulait désormais rattrapper le temps perdu avec tous ces projets en cours ?...
En tout cas j'apprécie ce genre d'entretien, où elle joue sur les mots, la langue française et ...anglaise ! Quel talent !
Je crois que c'est également le patron de Miramax qui disait l'année où Juliette Binoche avait gagné son oscar , "vous verrez , le prochain c'est pour Isabelle Adjani " ...
Bon , c'est Marion Cotillard qui finalement nous a rendu très fier, mais je souhaite de tout coeur qu'isabelle se lance dans un projet international comme Vk ...apràs la statuette , c'est la cerise sur le gâteau , et Dieu sait si j'aime les gâteaux ...;-)

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