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6 septembre 2009

L'histoire de Subway aux éditions intervista

A l'occasion de la sortie de Subway le 9 septembre prochain , retour sur l'entretien de Luc Besson extrait du livre L'histoire de Subway
Pierre-Ange Le Pogam travaille chez Gaumont.










 On se connaît un peu, depuis Le Dernier Combat. C'est lui qui me parle de Christophe Lambert. Un jeune français qui vient de terminer un film : Greystoke. Le jeune homme est inconnu, mais on le dit talentueux.
Rencontre avec Christophe. Ca accroche tout de suite. Ce gars-là n'a pas un gramme de méchanceté. Il a le cœur sur la main, il manque d'amour et d'une famille (de cinéma). On l'adopte.
Christophe est fou de bonheur, un peu moins quand je lui parle de la coupe de cheveux que je lui réserve. Il y aura un peu de Sting dans Fred.
Christophe accepte avec un sourire crispé. La coupe blond-pétard est née. A la sortie du film, des gamins dans toute la France iront demander "la coupe de Fred" à leur coiffeur.
Gaumont jubile. Ils ont un film à quatorze millions de francs avec Adjani, Lambert, Bohringer, Reno, Anglade, Bacri, et n'ont aucun risque.


Pour moi, les problèmes commencent. Les assurances ne veulent pas assurer le film. Motif : Isabelle a quitté ses deux derniers films. Un avec Saura, l'autre avec Godard. Quand je leur dis qu'Isabelle va passer six mois dans le métro, entre 1H et 5H du matin, je n'ai droit qu'à une seule réponse : no way ! Je dois donc prendre réellement le risque tout seul. Si ça foire, je paierai toute ma vie (avec l'argent que je n'ai pas encore). Je parle avec Isabelle et lui explique la situation. Si elle me laisse tomber au milieu du film, je suis mort. Elle me dit simplement qu'elle ne me lâchera pas. Sa parole me suffit ; c'est comme ça avec les fées. Les derniers petits rôles se distribuent. Pierre-Ange Le Pogam (qui a toujours été tenté par le métier d'acteur sans vraiment se l'avouer) se retrouve avec un rôle : l'homme de main d'Isabelle. Rien à l'époque ne laisser supposer que nous travaillerions ensemble sur tous mes films et que nous monterions ensemble "Europa", studio européen crée en septembre 2000. Ce qui est plaisant (et inquiétant), en écrivant ces lignes quinze ans plus tard, c'est de s'apercevoir que les protagonistes de l'histoire sont encore tous là aujourd'hui. Tous ceux que j'ai croisé à mes débuts sont toujours dans le circuit. Certains chez Canal +, d'autres chez TF1, au CNC ou encore chez Gaumont. Les directeurs de salle, rencontrés lors des tournées en province, sont maintenant responsables multisalles ou dans les bureaux parisiens des grandes sociétés. Et puis tous ceux qui sont passés de Gaumont à la Fox, à la Warner, à Columbia... pour revenir parfois à la société d'origine. Ce n'est pas tellement que le métier soit fermé, c'est qu'il est dur et que ceux qui le font ont un amour viscéral pour le cinéma. C'est difficile de quitter le cinéma pour autre chose. Il y a un goût amer, une nostalgie, un mélange du passé et du futur. Un échange discret, presque immesurable. Ce qu'un film vous fait, il ne le fait qu'à vous et cette mémoire vous appartient à vie. Le cinéma vous donne autan qu'il vous prend. Tout semble en place : le tournage peut commencer. Dix-sept semaines, dont dix dans le métro. Voici quelques souvenirs, dans le désordre.

- Isabelle et sa coiffure Iroquoise. On a commencé à délirer. Elle est invitée par la maîtresse de maison (Isabelle Sadoyan, femme de Jean Bouise dans la vie). Les prises se succèdent et je la pousse à délirer encore plus. Prise au jeu, Isabelle s'excite. Les dernières prises sont à tomber par terre de rire. Isabelle, petit clown, c'est pas tous les jours.
- Christophe est au bout du quai RER. Nous, cachés avec une steadycam à l'autre bout. Il est minuit et demi. Un homme, la quarantaine, tout maigre, s'approche de Christophe : "Ca va ?"
- Ca va.
- T'as besoin de rien, lui dit le gars.
- Non, pas pour l'instant, répond Christophe.
Le gars ouvre sa gabardine. Il a deux flingues à la ceinture.
- Si t'as besoin, tu me dis, je suis dans le coin, balance le gars.
- OK. Mais pour l'instant, ça va.
Et Christophe lui montre le faux pétard qu'il a lui aussi à la ceinture. L'homme paraît un peu déçu, le salue poliment et se casse.

- Le travelling à fond à travers la station Auber. Bacri court après Lambert. La caméra est montée sur le toit d'un karting de cross. Le pilote est champion de France. Il y a tellement peu d'air que les acteurs dégueulent au bout de trois prises. Il y aura donc une bouteille d'oxygène sur le plateau à partir de ce jour-là. Distribution de carotène, médicament qui permet de ne pas se bousiller les yeux avec les milliers de néons subis toute la journée et le manque de véritable lumière du jour.

- Le saut de Christophe au milieu des rails. On est quatre et une caméra à l'attendre, blottis au fond de la fosse. Christophe saute, le métro nous passe dessus, dans un vacarme hallucinant. Ce fut bien impressionnant à vivre.

- Madame RATP, qu'on trimballe pendant des semaines. Elle est fort gentille, mais la RATP est rigide (ça n'a pas beaucoup changé !).. Par crainte de se voir refuser quelques scènes, on leur a pondu un faux scénario avec des faux numéros. Dans ce script tout public, le Gros Bill n'habite pas dans les sous-sols du métro, pas plus que le roller. Le fleuriste ne trafique rien. Après neuf semaines de travail en confiance, on a commencé à organiser des pièges pour voler tout ce dont on avait besoin. Les employés des stations nous connaissent tellement bien qu'on pouvait, à la fin, les abuser gentiment. Exemple : le casse de Bohringer et Lambert en pleine rame. On prétexte un raccord sur le quai ; coup d'œil à Patrick Alessandrin, premier assistant à l'époque (réalisateur de 15 août). Patrick fonce à une cabine, compose le numéro secret direct du P.C.C. Auber et demande à parler à la responsable RATP du tournage : c'est une urgence. L'employé s'exécute et sur le quai, nous entendons une annonce : "Madame Machin est demandée au P.C.C.". La jeune femme s'excuse et nous quitte provisoirement. "Allez-y, on ne bouge pas", je lui réponds, faux-cul comme pas permis.. Dès qu'elle s'engouffre sur l'escalator, l'accessoiriste sort les flingues, les donne aux acteurs. Carlo Varini (chef opérateur) met sa caméra à l'épaule. J'enfile ma veste RATP et une casquette, utilise le triangle piqué la veille pour ouvrir la porte de la cabine de conduite, à l'avant de la rame arrêtée. La rame est sur le quai d'attente et ne partira que dans dix minutes. Je prétends jouer le chauffeur. Bohringer me braque, me demande si j'ai des enfants. Deux prises. Je prends la caméra. Lambert entre dans le wagon. Il braque les deux convoyeurs ; les passagers, qui sont les membres de l'équipe, jouent les apeurés. Une prise. J'enlève ma veste que je jette sur la caméra posée sur le siège. Madame RATP déboule.
L'opération a duré moins de cinq minutes. La scène est en boîte. Ce qui me faisait le plus de peine à l'époque, c'était pas de mentir, c'était d'être obligé de mentir. Il fallait se battre contre la rigidité de la RATP car ils ne voyaient pas à quel point le film allaient leur faire du bien.
A la sortie du film, Yves Mourousi, présentateur du journal de 20H sur la Une (un PPDA en mille fois mieux) en vrai journaliste, fait une émission spéciale dans le métro, descend à fond entre deux escalators pour imiter Anglade dans le film. Subway devient un hit et le métro un objet à la mode. - Bohringer avec ses fleurs piqué au jeu, il vendait ses fleurs à toutes les jolies passagères.

- La persévérance d'Anglade, qui faisait des heures et des heures de patin pour avoir un bon niveau. Jean-Hugues s'intéressait beaucoup à la mise en scène. Je lui avais donc proposé, en parallèle, de réaliser le making-off. Il avait accepté avec grand plaisir. C'était drôle, par moments, de voir Jean-Hugues en roller en train de diriger sa petite équipe de tournage.



- La rencontre avec Alexandre Trauner. Chef décorateur de génie. Il peignait d'abord ses dessins à l'huile sur des planches en bois. C'était déjà des petites œuvres d'art. Il avait travaillé avec Orson Welles, Billy Wilder, Marcel Carné et tant d'autres. Ses ouvriers l'appelaient "maître". Il mesurait à peine 1,50 m. Une petite voix, avec un dort accent hongrois. Il n'était pas descendu dans le métro depuis Zazie dans le métro (1960). La première fois que je l'ai emmené à Auber, station gigantesque, j'ai cru qu'il allait avoir un malaise. Il restait le long des murs, comme par peur d'aller au centre.
Il avait déjà plus de soixante-dix ans.
Le repaire du roller est construit en studio. Une fausse poutre traverse la pièce en biais et tout le monde se prend la tête dedans. Alexandre se place dessous et se met à rire : "Je passe très bien, moi !". Un lutin au pays du cinéma. Il décroche un César pour les décors de Subway. Ce sera son dernier fondu de fermeture. Il est parti, discrètement, dans un dernier sourire, pendant le générique.

- Jean Reno, le batteur sournois.
Jean aussi s'entraîne comme un malade. Deux heures de batterie par jour. Son solo de la fin lui apparaît comme une montagne à franchir, alors il s'entraîne. Il faut dire que le solo de la fin est exécuté par un cador de l'époque, Amaury Blanchard, le batteur qui tue. Jean jouera en play-back, mais il se doit d'être synchrone.

- Le tournage du concert de la fin reste un super souvenir. Isabelle et Christophe s'embrassent sous l'arc-en-ciel d'Auber. Les musicos déchaînés. La louma, cette grue télescopique dont je me servais pour la première fois et qui révolutionnait la manière de voir les choses et de découper les scènes. Le steadycam aussi, à l'époque : seulement deux ou trois Français savaient bien s'en servir. La découverte de cet engin (qui permet de filmer avec fluidité) fut pour moi une révélation. Cela s'inscrivait exactement dans mon désir de bouger, de casser ce rythme "franco-français" qui plombait les films de mes pères. Je voulais mon stylo, plus léger, et pas de ligne sur mon papier. Je voulais, en fait, plus dessiner qu'écrire.

- Eric Serra (RXRA), le bassiste râleur.
Diriger son meilleur ami en tant que comédien est chose amusante et puis il avait fallu écrire la chanson avant, puisqu'elle était en play-back à l'image. It's only a mistery, interprété par Arthur Simms, fut un tube. Corinne Marienneau, bassiste du groupe "Téléphone", avait fortement participé à l'élaboration de ce titre. C'est aussi une des premières fois, en France, qu'on avait une chanson de film qui nous permettait de faire un clip promotionnel pour le film. Cette pratique est courante aujourd'hui, mais c'était une petite révolution à l'époque. - Bon souvenir aussi pour la scène où Isabelle, après avoir passé la nuit avec Fred, est récupérée par son mari. Isabelle doit pleurer dans la scène. C'est la première fois que le jeune metteur en scène que je suis doit faire pleurer une actrice pour le bien du film. La sensation est assez désagréable et à la première prise où Isabelle pleure, je suis à deux doigts d'arrêter. Heureusement, entre les prises, Isabelle a un jugement très professionnel et ne laisse apparaître aucune douleur. Cela me rassure. Ma grande peur était qu'elle utilise des blessures personnelles pour sortir les larmes dont le film avait besoin. Le sentiment de culpabilité aurait été trop fort. Je me souviens de la promesse que je m'étais faite à l'époque : "Je ne ferai plus jamais pleurer une actrice". Je n'ai pas tenu parole.



Le film sort et cartonne. Lambert est devenu une star entre-temps, car Greystoke est sorti à la fin du tournage de Subway. Il est alors arraché de l'anonymat et littéralement jeté en pâture aux médias. En quelques mois, il a des dizaines de couvertures de magazines. On crie son nom, on se l'arrache.
C'est la star française qui a réussi à s'imposer aux Etats-Unis. Même Delon et Belmondo posent à ses côtés comme pour désigner leur digne successeur. Christophe n'est absolument pas prêt et ce déferlement va lui poser beaucoup de problèmes. Quand un raz-de-marée se produit, il est difficile de commencer à apprendre à nager.
Son exemple m'a beaucoup marqué et m'a montré les médias sous un angle que je ne soupçonnais pas. Son histoire m'a permis de prendre mes distances avec ces médias qui sont souvent prêts à toutes les crasses pour obtenir ce qu'ils veulent. Mais c'est à Christophe de raconter un jour son histoire.

Quelques mois plus tard, Subway récolte treize nominations aux Césars, moi qui en espérais une. Je me souviens du moment où j'ai appris la nouvelle, j'étais au téléphone. Mes jambes se sont dérobées et je me suis retrouvé allongé par terre, terrassé par la nouvelle que je n'entendais pas. Gagner cent millions au loto doit évidemment surprendre, mais dix fois plus, si vous n'avez même pas joué. C'est un peu ce que je ressentais. Et puis Le Dernier Combat était resté un film marginal. Quelques papiers étaient bons et son score en salle sympathique, mais anecdotique.

Treize nominations étaient une preuve indiscutable de l'intérêt que le milieu cinématographique me portait. J'en étais surpris, mais surtout très fier et très ému. Cette soirée des Césars fut une belle soirée, très émouvante. Voir Christophe monter sur scène, avec ses lunettes, ne sachant pas trop quoi dire. Alexandre Trauner tout timide, disant : "Merci de ne pas m'avoir oublié". Le dîner au Fouquet's juste après, où tous les gens du métier que j'admirais venaient me voir avec un beau sourire et me serraient la main. Pour la première fois peut-être, j'eus le sentiment d'appartenir à une famille. Celle des artistes qui râlent, qui souffrent, se déchirent, s'engueulent, font chier tout le monde, mais qui ont de temps en temps une lumière au fond des yeux que vous ne verrez nulle part ailleurs.

Pendant ce temps-là, Edith Colnell, l'envoyée de Gaumont chargée de tenir le budget, m'annonce (avant de se barrer) que le film a dépassé de sept millions de francs. Cela porte mes dettes ) dix millions. J'ai vingt-cinq ans. Cool !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

riche interw, jamais imaginé le filoutage obligé face à la rigidité de ratp,et les difficultés inhérentes au tournage, après coup, cela parait si fluide, si limpide! les fameux refus cinés d'IA,elle a une tête belle et bien faite, et sait ce qu'elle veut,non mais!!a

Anonyme a dit…

bonjour,
je suis à la recherche (désespérée) du making of de Subway, réalisé par Anglade évoqué dans l'interview... Si une bonne âme a un plan > antimatiere@hotmail.com
merci

Nicolas a dit…

Ce livre magnifique peut se trouver facilement sur ebay !! ;)

Anonyme a dit…

je ne parle pas du livre que j'ai depuis longtemps, mais du making of (16mm) tourné par Anglade sur le set de Subway. Il est parait-il passé une seule fois à la télé, et apparaissait sur youtube il y a quelques années. Je ne sais pour quelle raison Besson a toujours refusé de le mettre en bonus sur les éditions dvd du film.

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