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25 septembre 2009

Isabelle Adjani écrit dans La règle du jeu.



Isabelle Adjani a écrit un texte inédit pour la revue La Règle du jeu que LEXPRESS.fr publie. Elle y raconte comment elle décida de lire un extrait des Versets sataniques en recevant son césar 1989 de la meilleure actrice. Un moment qui a fait date.

A l'occasion du lancement de sa nouvelle formule, le 1er octobre, La Règle du jeu, publication dirigée par Bernard Henri Lévy, consacre l'essentiel de ses pages au vingtième anniversaire de la fatwa édictée par l'ayatollah Khomeini contre Salman Rushdie et son livre Les Versets sataniques. La Franco-Iranienne Marjane Satrapi a dessiné la couverture de cette édition spéciale, dans laquelle Isabelle Adjani revient sur la cérémonie des Césars de 1989. La comédienne avait lu un extrait des Versets en recevant sa récompense pour le film Camille Claudel, réalisé par Bruno Nuytten: "La volonté, avait-elle lu, c'est de ne pas être d'accord, ne pas se soumettre, s'opposer." Vingt ans après, avec ses mots d'artiste éloignée de la géopolitique, elle se remémore son état d'esprit d'alors, dans un texte que LEXPRESS.fr publie en avant-première et qui sera reproduit dans La Règle du jeu.
Christophe Barbier




Les contre-versets

C'était l'année du bicentenaire de la Révolution française, c'était l'année de Camille Claudel, c'était l'année des Versets sataniques...

Je venais d'interpréter une artiste extrémiste, l'art à n'en plus dormir, l'art à en devenir folle, l'art à en mourir, et l'extrémisme frappait un artiste vivant en le condamnant à mort. Fatwa !

Ce n'était pas la première fois que j'entendais ce mot, mais c'était la première fois que j'en saisissais toute l'horreur, tout l'inacceptable : par ce cri "à tuer", tous les musulmans du monde étaient incités à la haine envers l'auteur des Versets sataniques, à mettre à mort Salman Rushdie.

Cette même année, l'émergence du Front islamique du salut (FIS) projetait l'ombre de la guerre civile et du terrorisme sur le territoire algérien.

Cette fatwa, après la prise d'otages de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979, redonnait un visage effrayant à l'affrontement entre l'Occident et l'islamisme, un intégrisme, un extrémisme qui n'avait déjà plus rien à voir avec l'islam.

Dans ce contexte, l'affaire Salman Rushdie, au pays de Voltaire, devait prendre au moins l'ampleur de l'affaire Calas [NDLR : erreur judiciaire commise par le parlement de Toulouse en 1762 et rendue célèbre par l'intervention du philosophe] : une république laïque ne peut que refuser qu'une victime expiatoire soit offerte à la vindicte populaire pour des raisons religieuses, mais elle doit aussi se battre pour qu'un artiste puisse exprimer ses idées, et ce même si elle ne les partage pas.

"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire." (Voltaire)

"Ils n'aiment que ce qu'ils connaissent déjà." (Boris Vian)

Camille Claudel m'avait aidée à rester en vie lorsqu'on m'a voulue mourante et même morte (histoire de la "rumeur"). N'était-il pas la moindre des choses de ma part qu'en tant qu'artiste moi-même j'envoie un message de vie vers celui qu'on ne voulait plus voir en vie?

Je crois que tout cela a traversé mon esprit, pas forcément dans cet ordre, mais c'est dans cet état d'esprit que j'étais à l'approche de la cérémonie des Césars. J'étais de plus dans un état de chamboulement émotionnel qui me rendait particulièrement sensible à toutes ces questions. Et, comme toujours dans ces moments particuliers, le sentiment d'urgence semble prendre le pas sur la raison: un impératif catégorique se manifeste, il faut lui obéir, il faut agir.

Quand j'ai pris la décision de faire quelque chose, je l'ai prise en innocence de cause: je ne savais pas que j'allais être gratifiée d'un nouveau césar, mais jamais je ne l'avais si fortement et si intimement voulu, pour des raisons artistiques et pour des raisons... politiques. Artistiques parce que j'étais convaincue de la dimension de mon implication dans le rôle de Camille Claudel, politiques parce qu'il me fallait bien cette tribune, cette exposition, pour donner tout son poids à ma décision.

Cela peut prêter à rire ou à sourire, mais j'avoue qu'à la veille de la cérémonie, alors que je griffonnais quelques phrases et recopiais quelques citations, je tremblais comme une élève qui doit passer un grand oral: il ne faut pas douter du fait que l'on va monter sur l'estrade alors qu'on doute totalement de ce que l'on va dire, de ce que l'on doit dire, puisqu'on ne doit pas le dire.

Eh non ! la nuit ne porte pas conseil, et le jour J, alors que je me faisais belle en avalant un comprimé bêtabloquant -c'est ainsi que l'on dit dans les romans- et que les sautoirs de perles s'amoncelaient autour de mon cou, sur cette robe orientalisante trouvée au musée Saint Laurent, ce fut... le trou noir ! Dans la voiture, mon encéphalogramme était plat, ma main droite quasi inerte retenait à grand-peine mon antisèche du bout des doigts.
Arrivée... Des lumières, des photographes, un tapis rouge : "Isabelle, Isabelle!", "Isabelle, Isabelle!", "Par ici, Isabelle!"... La machine est en marche, il faut la suivre, il faut sourire et puis suivre tout un protocole qui vous conduit à votre place, une bonne place quand vous êtes nominée et habituée des lieux. Dans la salle, je suis placée à côté de Simone Veil: je suis intimidée par cette grande dame, le courage et la beauté, la rescapée, la combattante, la militante... Le doute revient vite en présence d'une telle figure: moi, Isabelle Adjani, algérienne, allemande et française, comédienne, actrice et... quoi? Je n'étais pas si reconnue que ça pour mes engagements, et j'avais très peur de faire l'expérience du... naufrage du feu.

Mais je voulais que ce soir les applaudissements pour Camille et Isabelle soient des applaudissements pour Salman. J'étais tremblante, on peut le voir sur l'enregistrement, mais je suis allée jusqu'au bout de ce que je voulais faire, et j'étais loin de me douter, une fois l'appel lancé, de l'impact qu'auraient quelques paroles et deux citations.

Il y a eu, quelques minutes après ma prestation, un "bravo !" chuchoté par Simone Veil lorsque je me suis rassise à côté d'elle... Je n'oublierai jamais... Il y a eu un battage médiatique tellement important qu'il a, comme la fatwa, traversé les mers et les océans, ça non plus je ne l'oublierai jamais...

C'est en lisant plusieurs articles dans la presse anglaise sur cette prise de position lors de la cérémonie des Césars que Daniel Day-Lewis a cherché à me rencontrer, à me connaître... Coup de foudre... C'est de cette grande histoire d'amour qu'est né notre fils, Gabriel-Kane.

J'aime finir cette humble contribution par cette note d'espoir, une naissance contre une condamnation à mort... Merci Salman.

La fatwa plane toujours au-dessus de la tête de Salman Rushdie, et d'autres fatwas, religieuses ou politiques, menacent la vie de nombreux écrivains dans le monde. Mais avec Les Versets sataniques nous a été confié qu'aucun texte n'est sacré ; ce qui est sacré, c'est l'homme, c'est moi, c'est vous, c'est Salman Rushdie, c'est nous, c'est notre liberté.

Pour apprendre le respect des mots, le respect de la lettre et de l'esprit, il faut commencer par les aimer, non? Alors, non, non et non à la pédagogie de la terreur, oui, oui et encore oui à la pédagogie de l'amour, à devenir tous les jours un peu plus philosophe et à trouver dans de grands textes, le Coran... la Torah... et la Bible... d'infinies sources d'inspiration pour rester libres, pour créer et pour aimer...
Isabelle Adjani.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a l'inspiration et il y a les mots
quand isabelle parle, on respire !

Anonyme a dit…

en écho avec l'anonyme,magnifique, tout simplement magnifique!une envolée lyrique, poétique,une révolution d'amour à la gloire de l'humanisme!et une belle iniative de B.H.L, et de toi-même d'avoir retranscrit cette longue intw!a

Anonyme a dit…

mercis Isabelle pour ces precisions, j'ai lu les versets cet été, un bel été, bises, johann

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