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15 août 2009

"Isabelle Adjani dit tout"-Marie France n°175 sept 2009

Dans cette maison de thé,”Madame” a ses habitudes. Une table de quatre au fond de la salle, près de la caisse. Pas très en vue,mais pas cachée non plus. Sur le SMS, elle a écrit : “18h-18h15.” On se dit que cela fera un bon 18h30, mais le garçon est formel :
“Madame est toujours à l’heure.” Et c’est vrai. 18h12, elle est là. Tout en blanc avec de grosses lunettes Miu Miu qu’elle dégage vite pour laisser apparaître ce fameux regard ciel d’été à Collioure. La main est ferme, le sourire timide. Je sais que je profite de bonnes conditions car, le matin même, la séance photo avec notre directrice artistique et notre grande prêtresse de la mode s’est bien passée. “J’adore les femmes bienveillantes, me dira-t-elle plus tard. Je pense que j’en suis une et j’aime bien rencontrer des soeurs.” Il est vrai que nous sommes allées vers elle avec envie et sans arrières-pensées. Sa performance dans La journée de la jupe, en prof de banlieue pérant les plombs et prenant
sa classe en otage, nous avait bluffées. Qu’elle accepte de tourner avec des kilos en trop nous avait scotchées aussi. Comment Isabelle Adjani, LA star française, pouvait-elle revenir à l’écran en ressemblant à Madame Tout-le-monde ? Alors, on lui a écrit pour proposer une rencontre, hors promotion de film. Ce que les actrices refusent toujours, mais elle, a dit oui. Malgré un départ, quelques jours plus tard , pour l’Algérie et le festival du film panafricain. en dépit de 4 films sur le feu dont les tournages vont se succéder à un rythme d’enfer, de son fils, Gabriel Kane, partant en vacances le lendemain. Elle a dit oui, sans chichis, en direct par téléphone. La voici attablée, détendue et rieuse. Délestée aussi de nombreux kilos. Disponible. Touchante.




C’est à votre vie privée que vous consacrez le plus de temps.Il y a une période souvent très longue entre vos tournages. Le temps vous marque peu... Finalement quel rapport vous avez avec lui ?
Isabelle Adjani.En fait, la réalité du temps s’adapte à moi. Ce n’est pas moi qui m’adapte à elle. Je travaille à mon rythme et je ne suis pas seulement faite du temps pris à construire ma carrière... Il y a longtemps que je m’octroie des intervalles assez longs. Ce culot créé, à chaque fois, l’ahurissement. Plus jeune, on me disait : “Fais attention, le temps n’est pas quelque chose d’immuable. On ne l’arrête pas. Il passse...”Aujourd”hui , on n’ose plus rien me dire. ( Eclat de rire.)
Cette année, vous allez enchaîner de nombreux projets...
Oui, j’ai prévu de beaucoup travailler. Mais , pour moi, ce n’est pas du rattrapage, c’est juste une belle aubaine artistique. Il se trouve que j’ai eu envie de presque tous les films que l’on m’a proposés et je vais les enchaîner sans me poser de questions. Par ailleurs, je me garde toujours disponible pour les gens qui me sont proches, pour ma famille... et j’ai beaucoup de mal à laisser mon fils de 14 ans. Or, il s’avère qu’il va passer l’année qui vient chez son père. C’est son choix de jeune adolesecnt. Je trouve ca formidable pour lui et aussi formidable pour moi, qui vais travailller.

Sans la décision de de votre fils, ce serait différent ?
Je serais très embêtée... Je m’obligerais à faire un choix beaucoup plus serré, beaucoup plus sévère quitte à manquer-et cela m’est déjà arrivé-des rendez-vous qui peuvent être magnifiques. Je ne discute pas les priorités. Elles sont en moi, c’est comme ça.

Ce n’est pas votre fils qui exige cela de vous ?Non, non, non, mais , en même temps, il aime être certain que je sois là le soir, quand il rentre.

Même à 14 ans, avec l’adolescence, c’est toujours le cas ?Oui, toujours....Ca va passer, mais c’est encore là. On a une relation très...très, très forte. Pas fusionnelle, car il n’y a rien de pire pour un garçon que d’avoir une relation fusionnelle avec sa mère, mais forte.

Indépendamment de cette opportunité de timing, il fallait le désir. Comment est venue l’envie de rouvrir la porte ?La qualité des rôles proposés. Une incroyable conjoncture de belles opportunités totalement différentes. Pour chaque film, il y a un challenge. Il y a un policier, une comédie qui m’a tellement séduite que je vais la coproduire, le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, deux êtres totalement déjantés. A chaque fois, je vais devoir faire un exercice de métamorphose.

Comment ça de métamorphose ?Eh bien , changer de peau, de voix , d’allure, de magnétisme, de force de conviction, physiquement aussi.

Vous êtes toujours sûre de faire les bons choix ?En général, quand j’ai la conviction qu’il faut que j’y aille, ça marche. C’était le cas de La journée de la jupe, par exemple. Il y a eu une évidence immédiate dont on a essayé de me détourner en me disant : “Attention petit budget, thématique taboue,metteur en scène pas reconnu au sein des metteurs en scène de cinéma, une situation hybride avec Arte et le cinéma...” Celle qui y croyait c’était moi.

Pour quel autre film avez-vous ressenti cela ?
Camille Claudel
, Possession, L’été meurtrier, même si j’ai pris du temps pour me décider. Parce que je ne me trouvais pas suffisammeent belle pour me mettre nue et que j’avais une pudeur physique qu’il me fallait surmonter pour le personnage... Tous les films qui m’ont réussi sont ceux que j’ai faits par conviction, et ceux que j’ai faits sans passion en me disant allez, sois raisonnable, ne m’ont rien apporté. Je ne me fie plus désormais qu’à mon élan primitif. (Fou rire.)
C’est dur de se remettre au travail ?Je suis super excitée. Ce qui va être dur, c’est de réussir le travail. Je suis hyperconsciencieuse, je n’aime pas me tromper et je veux que ce soit top. Et je vais me donner la peine nécessaire pour y arriver.

C’est pour tous ces personnages que vous avez commencé à “fondre” à une vitesse folle ?
Oui, oui. Et aussi parce que j’en avais marre de mon gros cul ! Vraiment marre. C’est à moi que ça pesait le plus. Pour La journée de la jupe, je n’ai pas eu le temps de me préparer physiquement”, mais je me suis dit, voilà,ça fait partie de la vie d’une actrice de se servir de son physique, même s’il n’est pas avantageux, si cela colle au rôle. Et là , cette prof avait droit à tous mes kilos en trop. je me suis dit, hop, j’y vais.

Et qu’avez-vous ressenti ?
Cela a été très libérateur. Ca fait un bien fou d’échapper aux diktats féminins ambiants. Je ne pense pas que je vais récidiver pour une grosse (elle rigole), mais ça fait du bien de pouvoir faire son métier sans une taille 36-38 et pouvoir être regardée, félicitée, couronnée juste pour le travail. Il y a tellement d’actrices que l’on déclare “merveilleuses” simplement parce que ce sont des sex-symbols. La beauté peut faire partie du talent, mais pas le remplacer.

Sur une séance photo ou quand on parle avec vous, on a l’impression que vous doutez en permanence ... Pas autant qu’avant, bien sûr. J’ai, aujourd’hui, une assurance de femme, de mère. Et je ne doute pas dans les situations de la vie qui requièrent de la force ou de la responsabilité ... Mais je n’ai aucune prétention . Vous savez, je ne crois pas connaître d’actrice avec une sensibilité singulière qui soit un monstre d’assurance. Alors , évidemment, il y a des femmes type Sharon Stone, mais ce ne sont pas des artistes, ce sont des professionnelles. Rien à voir avec une Meryl Streep qui est, pour moi, l’actrice absolue. Sharon Stone est une actrice contemporaine, adaptée à la société d’aujourd’hui qui est une société du produit. On passe toutes par cette notion de produit car la dictature de l’image est là. Mais à nous de rester des artistes, des femmes que la sensibilité transforme en funambules marchant sur un fil. Et on ne peut pas marcher d’un pas assuré sur un fil.

Comment vous trouvez-vous en photo ?Parfois, je me dis,ça , c’est vraiment moi. J’aime les moments volés qui vous restituent vraiment et ce sont rarement ceux que l’on choisit de publier. Je dois faire , avec Flammarion, un livre de photos inédites qui sont, justement, le regard que je porte sur mon image. On risque d’être étonné de mon choix et avant, on va me dire “ce n’est pas possible, tu ne vas pas laissser passer ça”, mais moi, je les adore ! (Rire enfantin.)

Ca ressemble à quoi ?
Je peux avoir la bouche de travers, par exemple, mais , moi, je vois autre chose dans l’image. Ce que j’aime sur une photo, un visage,ce sont les défauts qui donnent de la beauté. Les petits heurts, les petits accidents qui ont la grâce. Un oeil plus petit que l’autre ou un regard qui plisse dans lequel perce quelque chose d’extraordinaire. Les images de Marilyn que je préfère sont celles d’Avedon, saisies entre 2 poses. Les quelques secondes qu’elle a prises pour souffler, lâcher prise, il les attrapées, et cela donne des choses vraies.

De vous, on a peu l’image de la mère parcequ ‘on ne vous a quasiment jamais vue en photo avec vos enfants...
Pourtant, j’ai toujours parlé d’eux ! Mais c’est vrai que ça a été très rarement illustré.

Vous avez été la même mère pour les deux ?Bien sûr que non. C’est une question d’expérience. De circonstances... J’ai fait mes deux fils avec les 2 hommes que j’ai le plus aimés dans ma vie (Bruno Nuytten et Daniel Day- Lewis, ndlr), mais les conditions étaient différentes. Pour le second, j’ai été une mère seule, dès la grossesse. Ce que je ne souhaite à personne, si ce n’est pas volontaire. C’est donc un enfant que j’ai eu tendance à surprotéger jusqu’à ce que les choses s’harmonisent entre son père et moi. Gabriel Kane est un enfant auquel je voulais donner tous les possibles. Il est né aux Etats-Unis, il est totalement bilingue, ce qui lui permet de communiquer avec son père, dans la langue de son père. J’ai voulu que les choses ne soient pas “carencées”. Bon, à l’arrivée, ce qui compte pour moi, c’est d’avoir des enfants solides. Oui, ce qui est important, c’est l’énergie et la solidité. De ce côté-là, j’ai été exaucée et vous savez, je dis merci tous les jours.

Qu’ont-ils en commun tous les deux ?
(Temps de réflexion.) Il yen un qui est plus saturnien, plus terrien que l’autre, c’est l’aîné, Barnabé. Gabriel Kane est plus mercurien. il veut que tout aille vite, se passe tout de suite. L’aîné lui fait, de temps en temps , de grandes leçons de morale de vie pour le calmer , le ralentir...

Vous avez gardé, c’est très frappant, des côtés très jeunes et notamment dans le regard...Oui, je sais. Quand on a tourné ensemble Diabolique, Sharon Stone m’avait attrapée par les épaules, collée devant elle et m’avait lancé : “ Laisse- moi regarder, je ne comprends pas ce qui fait que tu as l’air jeune.” Puis elle m’a dit : “J’ai trouvé, cest ton regard ! “ Mon fils (le petit) a exactement le même, comme cloné. Même iris, mêmes cristaix et le côté neigeux dans le bleu. On ne peut voir aucune différence d’âge, vous découpez des photos, c’est incroyable. C’est peut-être le reflet d’une intériorité, d’une empreinte de gaieté. Je crois que je finirai vieille pomme ridée avec deux billes d’enfant. Ma mère avait ça, mais avec des yeux verts. Une espèce de pétillement qui n’avait absolument rien à voir avec son âge. Et cela, jusqu’au dernier jour.

Que reste-t-il, en vous, de la jeune fille d’ondine, de la gifle ou de L’été meurtrier ?
Une ferveur, la foi, une aptitude à se lancer, quitte à tout perdre.

Et ce qui n’est plus là ?Un certain encombrement dont je suis venue à bout après une dizaine d’années d’analyse.

Vous continuez toujours ?Là, je suis en bout de course, c’est la onzième année et le dernier segment. On arrache les derniers symptômes, les adhérences qui restent collées et forment des dépendances. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me débarasser d’une éducation et d’une atmosphère de peur qui régnait dans ma famille.

C’était quoi ? La peur de l’autre ?
Des parents émigrés , ma mère ne parlant pas un mot de français au départ. Des gens qui ont dû poser leurs valises en même temps que leurs rêves, en se disant voilà, c’est le terminus pour nous. Donc , il y avait beaucoup de crainte, de repli sur soi à la maison.Quand j’ai commencé ce métier, j’étais totalement décalée. C’était très difficile, non pas de jouer car ça, c’était une évasion rêvée, mais de communiquer avec les autres. J’ai dû lutter contre une forme d’autisme culturel et social.

C’ést-à-dire ?
Une difficulté héritée de mes parents à communiquer avec les autres, à pouvoir les regarder dans les yeux et parler sans rougir . Après chaque interview, je pleurais car j’avais l’impression d’avoir dévoilé des secrets de famille, alors que je ne disais presque rien. Mais j’ai été éduquée par un père qui disait que l’on ne raconte pas ce que l’on sent, ce que l’on vit. On ne dit rien. On garde tout pour soi. J’étais sans cesse écartelée entre la demande “dehors” et l’autorité “dedans”. Même après la mort de mon père, c’est quelque chose qui m’a poursuivie.

Votre père a été content tout de même , à un moment ?
Oui, bien sûr. très content. Même si pour lui, la Comédie-Française avait plus d’allure que le cinéma, mais il a toujours gardé un fond d’inquiétude. Ma mère, elle, m’avait exprimé son regret de m’avoir laissé embrasser cette profession en disant que ça avait apporté trop de soucis. Elle trouvait que c’était un métier vraiment trop dur. Ce n’est pas faux, d’ailleurs .

Vos amis vous appellent toujours “Miss Bilan” ?
(Elle pouffe.)Ah, c’est vrai...Mais là, je suis plus dans la perspective que le bilan.Le remède pour éviter le ressassement, c’est de se mettre au travail. C’est tout ce que j’ai trouvé comme solution et je crois que c’est la bonne.

Par Sylvie Metzelard
Photos Jeff Manzetti

1 commentaire:

Anonyme a dit…

merci de cet retranscription de l'intw,adoré le passage sur le regard et la jeunesse du regard,c'est effectivement le lieu où se concentre tout le supplément d'âme et chez IA, son regard est un miroir de spiritualité et de beauté!!a

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