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21 mars 2009

La croix , interview isabelle pour LJDLJ





Isabelle Adjani, un chemin vers l’absolu

Ses longues périodes de retrait entretiennent l’image d’une icône inaccessible. L’actrice invoque un désir de perfection qui la pousse vers des personnages d’exception. Comme la prof de français qu’elle interprète magistralement dans « La Journée de la jupe », visible sur Arte, puis en salles




Article à découvrir sur le site La croix.com

La remarque d’Isabelle Adjani était passée presque inaperçue. Sur la petite table, au sous-sol de cette célèbre maison de thé du 17e arrondissement de Paris, on avait déplié un exemplaire de La Croix pour lui montrer l’espace qui lui serait réservé dans le journal. « Le temps d’un dialogue libre est rarement offert », s’était-elle immédiatement réjouie en jetant un œil attentif sur les deux pages de portrait.

D’emblée, elle accueillait avec plaisir la promesse d’une discussion authentique. Comme si elle incitait immédiatement son interlocuteur à se débarrasser de l’appréhension de rencontrer une « star »… À se délester de tous les jugements qui encombrent l’esprit quand vient le moment de rencontrer une comédienne qui a traversé plusieurs décennies de la vie du cinéma et hanté, parfois malgré elle, la une des magazines à sensation.

Ses débuts fracassants à la Comédie-Française, sa célébrité fulgurante, la naissance d’un phénomène, ses rôles marquants et incandescents (L’Été meurtrier, Camille Claudel, La Reine Margot), son parcours à ellipses, ses retours réguliers autant que son mystère pénétrant, les fantasmes éternels et les rumeurs les plus insensées (le sida, la mort…) l’ont fait entrer dans le registre commun.

Une icône, un être lointain et inaccessible

Le regard collectif l’a dépossédée d’une partie d’elle-même. Et de sa vérité, cette vérité dont elle aspire toujours à témoigner. Portée par cet idéalisme qui l’a tant fait souffrir. Comme un chat blessé, Isabelle Adjani s’est souvent recroquevillée sur elle-même, alors que sa personnalité profonde la pousse à la relation. « J’ai compris que je devais renoncer à comprendre pourquoi je suscitais toutes ces réactions. Pourquoi l’amour que j’inspire était proche de la haine. Il m’a fallu cultiver une forme de douce résignation, sans que cela soit du renoncement, de l’abandon ou du désintérêt. » Dans l’imaginaire public, Isabelle Adjani, au mieux, serait devenue une icône. Ou pour le moins un être lointain et inaccessible, presque un fantôme dont on guetterait les apparitions, entre fascination et goguenardise.

Cet après-midi de mars, elle est bien là, veste de satin élégante et maquillage raffiné. Ses yeux bleus d’une limpidité absolue ne s’évadent jamais dans le vide, sauf lorsqu’elle cherche le mot juste. Toujours en quête de cette perfection qui entretient sa rareté mais l’empêche de se donner le droit à l’erreur. Elle commande un thé sans théine, et la voilà parfaitement disponible pour un entretien de plus de deux heures, alors que d’autres vedettes, de moindre statut, réduisent les interviews à la moitié, voire au quart…

"Je recherche sans cesse le bonheur d’une forme de proximité"

Inaccessible Adjani ? Premier malentendu, qu’elle dissipe, d’une voix douce et soutenue. « Il faut ne m’avoir jamais rencontrée pour dire cela. C’est impossible, ce n’est pas ma personnalité. Je recherche sans cesse le bonheur d’une forme de proximité. Jamais je ne mets de distance avec les gens, sauf si je ressens une menace. »

On signale juste la présence, à ses côtés, d’une paire de lunettes noires qui ressemblent bel et bien à un écran de protection. La remarque la pique au vif, provoque le seul (léger) agacement de l’après-midi. Elle invoque la fragilité de ses yeux, une intolérance à la lumière trop crue. Dit ensuite qu’elle aime bien se sentir protégée, s’emmailloter de douceur. « Je porte des lunettes de soleil l’hiver ou des bonnets en plein été depuis que j’ai l’âge de 16 ans. C’est mon uniforme de liberté ! Ce n’est pas aujourd’hui que je vais changer ! »

Elle poursuit, un peu plus offensive. « Tout de même, c’est étrange qu’il faille toujours rendre des comptes ! En France, il faut absolument rentrer dans les rangs. J’adore Londres ou New York ! Vous avez le droit de vous balader avec des plumes sur la tête ou de porter une crinoline. Si je n’avais pas été actrice, j’aurais aimé vivre ma part d’excentricité, porter des tenues extravagantes ! » Elle s’amuse de ce paradoxe monumental : devenir comédienne et fuir la lumière…

Rien ne l’avait préparée aux feux brûlants d’une notoriété soudaine

C’est l’instant où il faut revenir en arrière. Au moment crucial où Isabelle Adjani est entrée dans le métier. L’assistante d’un metteur en scène, Bernard Toublanc-Michel, parcourait les lycées de la région parisienne à la recherche d’une petite blonde aux yeux verts pour son prochain film, Le Petit Bougnat. « J’ai convaincu ma mère de me laisser passer un bout d’essai. Le jeudi après-midi, j’y suis allée. On m’a engagée. Je ne savais ni ce qui m’attendait ni ce qui allait se produire. Mais, pour moi qui ai toujours détesté l’ennui, il se passait enfin quelque chose, c’était excitant ! Cet été-là, j’échapperais aux vacances rituelles en Bavière, à l’interminable voyage familial en 4 CV ! »

Le destin frappait à sa porte, mais cette chance l’obligeait à tourner le dos à sa vie d’avant. L’adolescente de Gennevilliers, en banlieue parisienne, fille d’une mère catholique d’origine allemande et d’un père musulman, tous deux non-pratiquants, s’est arrachée à ses racines. Sans possibilité de rattraper ce qui s’était échappé. Plus rien, chez Isabelle Adjani, ne serait jamais simple. Rien ne l’avait préparée aux feux brûlants d’une notoriété soudaine. Elle évoque même « un contresens, un inversement total dans (sa) vie, un mouvement de bascule ». « Mes parents n’avaient pas un sou, ils étaient fiers et très secrets, on ne se confiait pas aux autres. Il y avait une grande pudeur émotionnelle. »

L’enfant hypersensible a dépensé beaucoup d’énergie à protéger ses parents. « J’étais préoccupée par la santé précaire de mon père qui se tuait au travail, par l’inquiétude dévorante de ma mère. Je ressentais chez eux une forme de déception de la vie et, chez mon père, de l’amertume et de la colère. » Elle ne cache pas qu’elle a cherché à le guérir, à trouver « comment rendre plus heureux » cet homme qui ne lui a pas épargné sa violence, à elle et à son frère.

« Jeune fille très mélancolique »
Grâce au théâtre, la « jeune fille très mélancolique » a puisé dans la richesse de son imaginaire. Jouer, composer un personnage, la libérait. Mais il fallut supporter les obligations de la profession. Elle ne s’y attendait pas. « J’étais très sauvage, très craintive. Parfois, je ressentais les interviews comme un viol. Je prenais sur moi et je rentrais chez moi en pleurant. » Dans le récit de ses débuts, elle introduit une cassure. Le sentiment jamais effacé d’une insouciance brisée. « Tout a commencé par un moment de grâce, une envolée durant laquelle vous avez l’impression que tout va être léger, miraculeux, idéal. Et puis vous recevez un terrible coup de bâton de la réalité qui vous remet dans le droit chemin. »

Son départ de la Comédie-Française pour suivre François Truffaut dans l’aventure d’Adèle H marque ce tournant. « Des gens sont venus me dire que je me trompais. On me prédisait un grand malheur. Je n’ai jamais eu de relations normales avec l’extérieur, j’ai dû affronter, dès le début, une forme de fanatisme. Il m’a fallu me protéger, apprendre la stratégie. » Son extrême exigence professionnelle a fini d’installer son image d’éternelle insatisfaite. Isabelle Adjani, par souci de perfection, aurait laissé en jachère une partie de son talent.

Une filmographie finalement très restreinte en serait le reflet. Elle avoue son incapacité à tourner des films dans lesquels elle ne croit pas complètement. « Je ne me donne pas le droit aux mauvaises raisons. Certains acteurs peuvent être bons dans de mauvais films. Pour moi, c’est impossible. » De fait, elle a nourri la pression qui s’attache à chacune de ses (ré)apparitions. « Un de mes agents disait que l’on pourrait raconter ma carrière à travers les films que je n’ai pas faits », souligne-t-elle avec humour.

Elle a connu la dépression la plus sévère

Isabelle Adjani revendique l’autodérision. Les pages les plus sombres de sa vie sont sûrement derrière elle. Elle a connu la dépression la plus sévère. Contrecoup tardif de l’hystérie collective dont elle fut l’objet, lorsqu’elle fut contrainte, en 1987, de se rendre sur le plateau du « 20 heures » de TF1 pour donner la preuve de sa bonne santé et de son existence. Lorsqu’elle a sombré, ses amis lui ont porté assistance. Elle a trouvé dans les livres les témoignages de personnalités hors normes à l’exaltation blessée.

Elle parle de Camille Claudel comme d’une sœur. Elle remercie encore le réalisateur Bruno Nuytten – père de son premier fils, musicien aujourd’hui âgé de 27 ans – de l’avoir aidée à incarner cette artiste, trop différente des autres pour ne pas être internée. Elle a acquis les droits d’Une vie bouleversée, d’Etty Hillesum, et formulé de longue date le projet de le faire adapter à l’écran. Elle soutient bénévolement toutes les aventures théâtrales qui font connaître cette femme dont la foi s’épanouissait au fur et mesure qu’elle vivait l’horreur des camps.

Elle se sent aussi proche de Thérèse de Lisieux. Parfois, elle s’arrête en Normandie pour se rendre à la basilique. Elle voue une reconnaissance infinie à Alain Cavalier pour son film Thérèse. «Cet homme nous a donné une parcelle de divin. Voir ce film admirable, c’est se mettre en relation avec cette partie de nous-mêmes qui est liée à la bonté et à la joie.»

"Il est temps de vivre de nouvelles aventures"

Isabelle Adjani est en recherche d’absolu. Le vocabulaire religieux s’invite régulièrement dans sa conversation, comme un écho de la crise mystique qu’elle a traversée à l’adolescence. Aujourd’hui, elle dit qu’elle n’est pas une « vraie croyante ». Mais le doute est l’autre versant de l’« appel » qui la conduit notamment à regarder régulièrement les émissions religieuses du dimanche matin… « Je vais volontiers à la messe lorsque l’on m’y invite. Et il m’arrive d’entrer dans une église, pour prier. »

Gabriel-Kane, son deuxième fils – né de son union avec le comédien anglais Daniel Day-Lewis –, exprime le désir de recevoir une éducation religieuse. Parfois, l’adolescent taquine sa mère sur le fait qu’elle ne travaille pas assez. « J’ai toujours fait passer mes responsabilités de chef de famille et les miens avant moi. Je veux toujours rendre les autres heureux, répond-elle. Mais, c’est vrai, maintenant, il est temps de vivre de nouvelles aventures. Avant qu’il ne soit trop tard. » Et elle éclate de rire, avec une fraîcheur de jeune fille.

Bruno BOUVET
Photo : Philibert

1 commentaire:

Anonyme a dit…

paradoxe d'Isabelle,qui excite les sentiments excacerbés,haine ou dévotion,tout sauf la tièdeur, juste la passion!mais c'est une personnalité hors du commun, à la fois vulnérable et forte, à la fois, ce qui lui donne cette incomparable aura!a

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