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11 février 2009

Interview belge pour LJDLJ



Isabelle Adjani (très prolixe !) , revient sur sa carrière, ses choix, ses films et évidemment parle de son rôle dans la journée de la jupe .




Interview de Nicolas Crousse, pour lesoir.be


La journée de la jupe interroge les démons qui habitent la société française de l'ère Sarkozy. Une société multiculturelle qui, constate le film, est loin d'avoir réussi son intégration. La comédienne aux quatre Césars de meilleure actrice y interprète, avec une rage électrisante, une prof confrontée à la violence ordinaire d'une classe de collège. Et qui va, au bord de la crise de nerfs, prendre en otage ses jeunes tortionnaires.
On la savait militante. Elle le confirme, sur grand écran, comme lors de notre entretien, en brandissant ses racines métissées : pour mieux défendre, avec passion, l'idée d'une France généreuse, qui accueille et cesse d'exclure. Nous pensions nous diriger vers une interview. Ce fut une rencontre, une vraie, de celles touchées par la grâce et l'émotion. Une rencontre d'autant plus précieuse qu'Isabelle Adjani, douce et dense, s'est faite depuis quelques années aussi rare en interview qu'au cinéma.


Qui est cette enseignante au bord de la crise de nerfs ? Une malade, ou une éclairée ?Je la vois comme quelqu'un de tout à fait normal. Et passionné par sa vocation. Elle n'est pas enseignante par hasard. Elle croit aux vertus de l'enseignement laïque. Sans angélisme idéaliste. Elle veut transmettre. Elle est là pour aider des élèves à se développer dans la connaissance, en tenant compte de leurs difficultés, de leurs origines et de leur recherche d'identité. Elle veut transmettre, oui, mais dans le refus total de la violence à l'école. Elle ne fait là-dessus aucun compromis, contrairement à ses collègues.

Elle va pourtant s'attaquer à la violence en employant elle-même la violence. Pour provoquer une sorte d'électrochoc ?Oui, et en même temps elle n'a jamais pu le prévoir. C'est une femme à bout, épuisée, excédée. Elle ne pouvait pas continuer à subir. Elle va basculer de l'autre côté au moment où elle va découvrir une arme dans la classe. Là, elle va péter les plombs ! Alors elle va devenir ce qu'elle n'avait jamais imaginé : pire qu'eux. L'ennemi de l'ennemi. D'un coup, elle ne réfléchit plus. Non, là tout à coup, elle se lâche, et hurle tout ce qu'elle pense et ressent.

Les élèves face à la prof, c'est un peu Zidane face à Molière. Or, on le sait, vous êtes véritablement une enfant de Molière !
C'est vrai. Je n'ai pas fait ce métier pour être célèbre et devenir une star. Je l'ai fait par amour des textes classiques et du théâtre. Même si j'ai fait un film quand j'étais presque encore enfant (NDLR : Le petit bougnat), je pensais vraiment que ma voie et ma vie allaient être le théâtre. C'est un accident de parcours. Quand Truffaut a voulu m'engager pour L'histoire d'Adèle H, il s'est heurté à la direction de la Comédie-Française, qui m'avait distribuée sur plusieurs pièces et qui ne voulait pas m'accorder de congé. Il m'a bien fallu prendre une décision.

Dure ?Je n'en ai pas dormi pendant des nuits. C'était horrible. J'étais jeune, et j'étais à l'époque à la fois très forte et très influençable. Or, c'était là aussi un malentendu. Il fallait que je prenne une décision et que je m'y tienne. Ça m'a coûté des nuits blanches et beaucoup de culpabilité. Et puis mes parents ont été très déçus. Pour eux, si je n'avais pas été à l'université, il fallait au moins que je sois à la Comédie-Française. C'était une institution qui me garantissait une vraie dignité professionnelle et un salaire à long terme.

Truffaut, tout de même, c'était une autre forme de décoration, non ?Oui, mais mes parents n'étaient pas des gens qui allaient voir le cinéma de Truffaut. On allait au cinéma le samedi soir ou le dimanche après-midi pour se distraire, oublier les problèmes de la semaine. C'était l'évasion. C'est quand j'ai commencé à être primée, ou à avoir une nomination aux Oscars à vingt ans, ce qui m'envoyait complètement dans la lune, qu'ils ont eu quelque assurance. Vous savez, je viens d'une génération où les actrices ne sont pas comme aujourd'hui.

C'est-à-dire ?A vingt ans, aujourd'hui, ce sont des bulldozers, des tanks. Elles ont une positivité sans cœur. C'est rarement le cœur qui les domine et qui les guide.

C'est l'ambition ?Oui. La volonté de réussir. Ce qui est tout à fait honorable, mais chez elles c'est ça d'abord et avant tout. Et s'il faut écraser les sentiments en route, eh bien ! on les écrase. Moi, je viens d'une génération où c'est le contraire : les sentiments vous écrasent, vous rongent. Le sentiment de bien faire est capital. Le sentiment de mal faire se vit mal. J'ai eu une éducation où on ne raconte rien à ceux qui ne sont pas de la famille. Je n'avais pas le droit de me raconter. Et on est dans un métier où on raconte tout à tout le monde.

Le métier aurait changé ?A cause de la mode « people », complètement ! C'est devenu dingue. C'était pas du tout comme ça. Alors évidemment, il y a toujours eu de la traque, des paparazzis… Mais ce n'était pas systématisé, ni aussi populaire. Il y avait un caractère presque mythologique de la vie des stars. Là, on est dans l'ère du commercial, du médiocre, de l'imposture, du vulgaire, de l'offensant, envers les célébrités qui sont traquées. Si j'avais 17 ans aujourd'hui, je ne mettrais jamais les pieds dans ce monde-là. Je resterais dans mes rêves.

Et vous feriez quoi ?J'aimerais rester dans la connaissance, soit dans le monde scientifique, soit dans une branche littéraire. Ecrire aussi, peut-être. C'était traumatisant pour moi d'arrêter mes études. J'en souffre encore aujourd'hui. Ce n'est pas un complexe social. C'est un complexe intime. Je suis devenue autodidacte parce que je ne pouvais pas faire autrement. L'humanitaire m'intéressait aussi. La médecine. En tout cas, l'idée était de faire quelque chose qui soit au service des autres. Pas au service de moi-même. Et je me suis retrouvée devant le miroir, malgré moi, car les gens se sont préoccupés de moi alors que moi je voulais me préoccuper d'eux.

Vous êtes une actrice citoyenne, sinon militante. On vous a entendu sur l'Algérie, sur Salman Rushdie. Vous parlez aujourd'hui d'éducation. Comment percevez-vous la société française sous Sarkozy ?
La rupture de style, dans la dynamique, c'est plutôt pas mal. On a un président qui se veut plus réveillé, plus conscient et plus intervenant. Il y a chez lui quelque chose qui tient de la volonté de conquête du pouvoir et du monde. Maintenant, ce qui se passe avec le changement du ministère de l'Intégration, c'est l'urgence. Ce qu'on a accepté de subir avec Hortefeux est invraisemblable : un homme se félicitant d'avoir dépassé ses quotas d'expulsions, c'est un appel au racisme. On est en plein révisionnisme de la valeur humaine. On a des gens qui sont là et travaillent depuis dix ou vingt ans, parfaitement intégrés, et tout à coup, non, ils n'ont plus à être français, on va s'en débarrasser.

La France qui se réveille, oui. Celle qui exclut, non ?
L'intégration choisie est déjà en soi une formule inacceptable. Mais qu'on entreprenne des chasses à l'intérieur des écoles et des maisons, c'est abominable. Maintenant, c'est Eric Besson, le transfuge du PS, qui prend la suite d'Hortefeux. C'est très pervers de le mettre à une place impossible : se servir de l'ambition forcenée d'un homme qui a déjà déserté son camp (le PS) et le promotionner dans une place-piège, c'est terrible.

A quel moment, sur quel tournage avez-vous ressenti du bonheur ?
C'était merveilleux sur Camille Claudel. Je ne crois pas qu'il y ait eu une chose qui soit partie plus du cœur que le projet de rendre une mémoire à cette femme et de la révéler au public. Sur l'Histoire d'Adèle H, j'étais trop jeune pour comprendre ma chance, mais ça reste inoubliable. L'été meurtrier, c'était assez extraordinaire ! C'est un film que j'avais eu du mal à accepter, parce que je ne me trouvais ni assez belle ni assez culottée… pour ne pas l'être.
Et puis, il y eut aussi les tournages plus délicats. Comme celui de « Possession », de Zulawski.
En même temps il m'a offert un film magnifique, qu'on peut comprendre ou pas, aimer ou pas, mais qui a été important dans ma carrière et qui m'a obligée à me confronter, en tant qu'artiste, à des difficultés extrêmes. Ses demandes étaient d'une grande violence, et je ne m'y prêterai plus jamais. J'étais encore suffisamment jeune pour accepter ça.

Etait-ce aussi la même odeur de soufre, avec Herzog et Kinski sur « Nosferatu » ?J'étais aux ordres de Zulawski et je n'ai jamais dérogé aux ordres, alors que Klaus Kinski et Werner Herzog, il y avait entre eux une histoire passionnelle. Ils s'amusaient à s'entretuer avec beaucoup de plaisir. L'un adorait souffrir, l'autre se régalait. Ça ne les empêchait pas d'être les meilleurs amis du monde. C'était tordant. Herzog est inclassable, c'est un immense poète, un vrai visionnaire.



3 commentaires:

Anonyme a dit…

oui lu sur le blog d'Emma,ah le style et le franc- parler d'Isabelle,on ne s'en lasse pas!il faudrait vraiment , un jour qu'elle épanouisse ce talent littéraire pour elle et pour les autres,bon Paris ne s'est pas construit en un jour!avec le temps,peut-être?a

Anonyme a dit…

sublime Adjani,sa beauté vient vraiment de son âme généreuse et de son intelligence si lumineuse...
Djilali.

Anonyme a dit…

merci Djilali,de ton superbe com !a

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